Relance, aéronautique, 5G : regards croisés de Nicolas Bouzou et Alain Rousset

Quelle réalité pour la relance économique en Nouvelle-Aquitaine et comment en profiter pour transformer l'économie régionale ? C'est autour de ces questionnements que l'économiste et essayiste Nicolas Bouzou et le président du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine Alain Rousset ont échangé à Bordeaux lors de la matinée "Transformons la France". L'occasion de débattre de la réindustrialisation, de l'avenir de la filière aéronautique ou encore de la 5G. Extraits.
(Crédits : Agence APPA)

Après l'intervention de Léa Thomassin, présidente d'HelloAsso, sur le thème de l'engagement des entreprises du numérique, puis la remise de six prix à des femmes et hommes qui font bouger les lignes, l'évènement "Transformons la France !", organisé par La Tribune, le 14 octobre dernier au Grand Théâtre de Bordeaux, s'est conclu par un dialogue ouvert entre Nicolas Bouzou et Alain Rousset.

Une séquence qui s'est ouverte par les réactions des intéressés après les restrictions annoncées par le gouvernement pour lutter contre le Covid-19. "Il faut miser sur l'agilité des Länder allemands et des régions italiennes pour agir de manière efficace. L'Etat doit conserver ses responsabilités régaliennes, notamment en matière de couvre-feu [...] Mais il faut ensuite s'appuyer sur les territoires", plaide le président du conseil régional, fervent décentralisateur. "Je suis contre les mesures d'interdiction en général mais favorable au renforcement des protocoles sanitaires et des contrôles. Je le dis clairement : c'est aux entreprises de jouer le jeu de manière très stricte si elles ne veulent pas subir des interdictions, notamment dans la restauration. [...] Il faut de la liberté économique pour avoir un fonds de croissance mais il faut aussi une responsabilité très forte de chacun !", considère pour sa part Nicolas Bouzou.

Relance ou pas relance ?

Et face à l'ampleur de la crise économique qui s'annonce aussi longue qu'imprévisible, Alain Rousset veut se montrer résolument rassurant :

"Nous avons mis en place dans la région un plan de relance en trois volets et l'écosystème de confiance bâti avec le club des ETI [entreprises de taille intermédiaire] et les clusters économiques nous permet de nous en sortir parce que l'économie de Nouvelle-Aquitaine est plus diversifiée que ses voisines. Maintenant nous devons mener une bataille rangée pour renforcer les fonds propres des PME et ETI et faire les sauts technologiques qui vont bien, y compris en matière écologique, si on veut conserver de l'industrie ici."

Et s'agissant du plan de relance mis en place par l'Etat, l'économiste Nicolas Bouzou, qui a été consulté par le gouvernement lors son élaboration, livre sa vision des choses :

"Quand le gouvernement m'a demandé mon avis, j'ai souvent pris en exemple ce qui a été fait en Aquitaine puis en Nouvelle-Aquitaine en matière de développement économique, notamment le programme Usine du futur qui est un modèle du genre. Cela étant dit, ce plan de relance de l'Etat n'est pas tout à fait un plan de relance mais plutôt le plan de modernisation, si ce n'est de rattrapage, qui aurait pu ou dû être fait il y a cinq ou dix ans", analyse-t-il avant de pointer la difficulté à aller vite : "On espère décaisser 30 milliards d'euros en 2021, ce serait bien mais ce n'est pas si énorme que ça, c'est moins de la moitié du total !"

Lire aussi : Comment Thinkdeep et Fieldbox.ai conçoivent l'usine du futur (2/2)

Territorialiser la relance

D'autant qu'il faudra s'assurer que les crédits de la relance irriguent bien toutes les TPE et PME dans tous les territoires et pas seulement les plus grandes entreprises. "Il y a une vraie difficulté à territorialiser ce plan de relance. A Bercy, ils le savent mais les systèmes de décision ne sont pas adaptés. On voit que les pays qui réussissent le mieux sont les plus décentralisateurs", reconnaît Nicolas Bouzou. Une vision évidemment partagée par Alain Rousset, qui attaque de son côté la volonté du gouvernement de réduire encore les impôts de production dans le cadre du plan de relance sans mener de politique véritablement industrielle :

"Le Medef propose de baisser les impôts de production mais n'avance aucune idée stratégique sur le développement industriel de la France. Les élus et les maires n'auront plus de retour fiscal sur investissement et n'accepteront plus d'accueillir des zones d'activité économique. C'est une connerie, une erreur insupportable. On se tire une balle dans le pied !"

Alain Rousset

Alain Rousset (crédits : Agence APPA)

"Ne laissons pas tomber l'aéronautique !"

Sur la question de la relocalisation, les deux intervenants n'y croient pas vraiment et préfèrent lui substituer l'objectif de réindustrialisation, en priorisant certains secteurs clef. Le conseil régional a ainsi lancé au printemps un groupe de travail sur la production en Nouvelle-Aquitaine de principes actifs en matière de santé et de médicaments. "L'objectif est aussi d'en profiter pour transformer cette chimie à base de pétroles par des principes biosourcés", glisse Alain Rousset.

Lire aussi : Production de médicaments, pour l'économiste Marie Coris "l'Etat doit reprendre la main"

"J'ai aussi mis sur pied un groupe de travail sur la diversification des sous-traitants aéronautiques qui souffrent aujourd'hui le martyre. Ne laissons pas tomber l'aéronautique ! On est dans une compétition féroce entre l'Europe, les Etats-Unis et la Chine et il ne faut pas laisser les clefs du camion à la Chine. Il faut diversifier les sous-traitants pour les sécuriser", alerte l'élu régional.

Lire aussi : Aéronautique : "Les sous-traitants souffrent en cascade"

Un appel repris à l'unisson par Nicolas Bouzou :

"Il ne faut pas abandonner l'aéronautique ! C'est l'un des trois secteurs économiques français ayant un solde commercial positif avec l'agriculture et la santé. La France est le pays occidental qui s'est le plus désindustrialisé ces dernières années. On ne peut pas se permettre de sacrifier l'aéronautique sur l'autel de l'écologie ! Penser que laisser tomber Airbus et ses sous-traitants serait une bonne nouvelle pour l'écologie, c'est se tromper lourdement parce que d'autres constructeurs étrangers prendront sa place et il y aura davantage d'émissions de carbone. Ce serait une grave erreur stratégique pour toute notre industrie ! [...] Plus largement, toute politique de décroissance est vouée à l'échec. Je ne peux accepter la pensée du "pour polluer moins, il faut faire moins" parce que ce n'est pas ce qu'on attend d'une pensée intellectuelle ou politique. Au contraire, ce qu'on attend des responsables politiques ce n'est pas de dire qu'il faut faire moins mais qu'il faut faire mieux, qu'il faut innover pour trouver des solutions pour transformer notre industrie et notre aéronautique !"

Lire aussi : Covid-19 : 197 suppressions de postes chez Lisi-Creuzet Aéronautique à Marmande

Nicolas Bouzou

Nicolas Bouzou (crédits : Agence Appa)

Quant aux discours politiques sur la relocalisation, l'essayiste ne se montre pas moins sévère :

"Relocaliser en France les usines de Chine ça n'a pas de sens ! Ce sont uniquement les consommateurs qui décident de la relocalisation puisque cela entraîne une hausse des coûts et donc des prix. Cela doit pouvoir fonctionner dans certains secteurs, sur certains marchés avec beaucoup d'investissement en numérique, robotique, IA et impression 3D mais ce ne sera pas décisif. Le vrai sujet qui doit nous animer c'est celui de la localisation industrielle, de la réindustrialisation dans les secteurs d'avenir tels que la santé !"

Lire aussi : Biotechnologie : Treefrog Therapeutics dévoile sa première installation industrielle

Et la 5G dans tout ça ?

Alors que la 5G doit faire l'objet d'un débat public à Bordeaux et est contestée dans plusieurs grandes métropoles écologistes et socialistes françaises comme Lille, Rennes, Grenoble et même Paris, les échanges ont également abordé ce sujet sensible. "Derrière la 5G, la question est de savoir ce qu'on veut pour notre pays ? Est-ce qu'on veut le meilleur, aller de l'avant et contribuer à résoudre les grands problèmes et notamment le gravissime problème écologique ? On est en train de laisser le monde à un duopole sino-californien. Nous avons déjà un retard considérable à rattraper et certains veulent un moratoire sur la 5G. Mais le débat ne doit pas porter sur la technologie en tant que telle mais sur les usages que nous ferons de la 5G. Il y a un plein d'usages positifs à inventer en matière d'écologie, de mobilité, d'inclusion, de lutte contre les inégalités, d'objets connectés !", juge Nicolas Bouzou, avant de tacler les récentes sorties des maires écologistes : "Le Tour de France, le sapin de noël et le porno ce sont des choses importantes pour les gens. Qu'on arrête de les emmerder avec ça et de leur faire la morale. Je déteste qu'on me fasse la morale !"

Alain Rousset se montre lui bien plus prudent sur le sujet de la 5G : "Certains de mes collègues au conseil régional souhaitent être prudents vis-à-vis de la 5G avec un argument, repris par le professeur Denis Malvy du CHU de Bordeaux, relatif à l'accumulation des ondes au-dessus de nos têtes qui posent problème y compris au médecins les plus sérieux [...] La 5G apporte beaucoup de réponses notamment en matière de santé et de désert médical mas je ne fais pas confiance aux opérateurs téléphoniques pour équiper tous les territoires de la même manière ! Soyons vigilants ! Je ne suis pas expert de ce sujet mais je crois qu'il faut que le gouvernement apporte des réponses aux inquiétudes légitimes des gens."

Lire aussi : Seriez-vous prêt à confier votre santé à une intelligence artificielle ?

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 25/10/2020 à 13:25
Signaler
C'est le climat qui a besoin d'eau et de végétation l'été, Quand José Bové veut couper l'irrigation l'été c'est pour alimenter des villes se plus en plus grandes qui ne recyclent pas mais polluent les rivières et le marais ! Mettez les villes aux n...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.