Une Epoque Formidable : les grands patrons sont-ils invulnérables ?

Foudroyé par un AVC lorsqu'il était à la tête du groupe PSA Peugeot-Citroën, Christian Streiff est venu témoigner lors du forum Une Epoque Formidable organisé par La Tribune avec le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, le 7 février dernier à Bordeaux. Ce grand patron, réputé invulnérable, a livré ses certitudes et ses doutes sur ce que ce tournant a représenté pour lui tant sur le plan professionnel que personnel. Morceaux choisis.
(Crédits : Agence APPA)

Le 11 mai 2008, à 54 ans, Christian Streiff, alors PDG du géant automobile PSA-Peugeot-Citroën (200 000 salariés) est victime d'un AVC, un accident vasculo-cérébral, comme près de 140.000 personnes chaque année en France. De quoi interrompre brutalement une carrière réussie de grand patron d'industrie notamment à Saint-Gobain puis Airbus avant de prendre la direction de PSA. "Personnellement, j'avais atteint le Graal pour un industriel en étant patron d'un grand groupe automobile. C'était une expérience intense et formidable", se souvient Christian Streiff, qui retient deux enseignements majeurs consécutifs à l'accident :

"J'ai appris à écouter. Je veux dire : à écouter sérieusement ! Quand on est patron on écoute mais pas vraiment... J'ai réappris à prendre du plaisir à écouter même si on entend quand même pas mal de conneries ! A côté de ça, j'ai découvert la richesse du temps, du temps qu'on passe, qu'on peut donner à ses amis, à sa famille, aux autres. Le temps d'un grand patron est très généreux mais pas vis-à-vis des mêmes personnes : j'étais fidèle à mes 200.000 salariés, moins à ma famille et à mes amis. Mais, pour autant, je ne remets pas du tout en cause cet investissement professionnel."

Le risque de ne pas renoncer

Malgré tout, l'état de santé post-AVC change radicalement la donne sur le plan relationnel, comme en témoigne Christian Streiff : "Quand on a un pépin majeur, on perd 90 % de ses amis ou de ceux qu'on croyait être ses amis, surtout quand on est patron de PSA ! Ces gens là, on les perd définitivement. Mais les autres proches deviennent encore plus proches, plus solides, y compris chez d'autres grands patrons qui m'ont énormément aidé à sortir du trou où j'étais tombé. Carlos Ghosn fait partie de ceux-là et c'est encore un ami."

Après quelques mois de rétablissement, Christian Streiff est pourtant tenté de replonger dans le quotidien de l'entreprise, de reprendre son poste de PDG comme si rien ne s'était passé... porté par un illusoire sentiment d'invulnérabilité. "Il faut énormément de travail pour remonter la pente. Je me suis donné trois mois, comme pour mener un projet d'entreprise lambda, mais ce n'était pas suffisant ! Pourtant, PSA m'a proposé de reprendre mes fonctions et j'ai dit oui et c'était une erreur personnelle. Au bout de trois mois, ils ont décidé d'arrêter et ils ont eu raison", rembobine l'industriel aujourd'hui âgé de 65 ans.

Christian Streiff Une Epoque Formidable

Christian Streiff (Agence APPA)

L'impossible vulnérabilité ?

Alors un patron est-il invulnérable finalement ? "Oui, il est obligé de l'être. Ce sentiment d'invulnérabilité c'est un moyen de résister à la pression, de résister à tout ce qui vous arrive. Pour les salariés, pour la direction, pour l'entreprise, c'est une obligation d'être ou de paraître invulnérable, invincible", assure Christian Streiff qui ne voit pas d'alternative à cet état de fait.

"C'est un constat : en principe, des gens peuvent vous remplacer mais, en pratique, pas réellement. Vous devez être là, vous ne pouvez pas être malade car ça mettrait le groupe industriel à risque. On n'a pas le droit de ne pas être en forme et si c'est le cas il faut le dire en conscience au conseil d'administration et renoncer pour sauvegarder les intérêts de l'entreprise."

Les deux bonheurs du capitaine

Mais ce sentiment d'être irremplaçable est-il fondé ? Cette pression doit-elle se concentrer obligatoirement sur une seule personne ? "La collégialité c'est un vaste sujet mais faire avancer une société industrielle ou commerciale de manière collégiale cela revient à mettre la clef sous la porte au bout de six mois ! Il faut avancer vite, très vite par rapport à la concurrence et les décisions collégiales sont plus lentes sans forcément être plus satisfaisantes pour ceux qui les prennent. Donc la décision personnelle n'est pas le fruit du hasard", considère Christian Streiff qui ne cache pas sa double approche du métier de capitaine d'industrie :

"Il y a le bonheur collectif d'aller ensemble dans la même direction pour atteindre un objectif commun, qui est une condition essentielle du bon fonctionnement d'une entreprise, mais il y aussi les moments de solitude, de décision en responsabilité, en pesant tout le poids des conséquences. Et ces moments là aussi sont l'un des grands bonheurs du chef d'entreprise."

Et l'ancien patron de PSA-Peugeot-Citroën de conclure, sans dévier de ses convictions : "Il y a peut-être besoin d'accepter davantage sa propre vulnérabilité en tant que patron, celle de son entourage et du monde qui nous entoure, c'est vrai, mais, au fond, ça ne change rien aux décisions que l'on doit prendre quand on est aux commandes !"

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