Une Epoque Formidable : "le système scolaire n'efface pas les inégalités, il les creuse ! "

Invité dans le cadre de l’événement Une Epoque Formidable, organisé par La Tribune avec le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, François Dubet, spécialiste des inégalités scolaires, est revenu sur le bilan de la massification scolaire, interrogeant le concept de méritocratie au nom du principe de justice. Compétition, norme élitiste, le système est-il toujours fondé sur l’égalité ? Peut-on inverser cette tendance ? L’analyse de François Dubet, professeur de sociologie émérite à l’université de Bordeaux II et ex-directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales.
François Dubet
François Dubet (Crédits : Agence APPA)

L'école de Jules Ferry avait vocation à produire des citoyens, des Français, et à émanciper par le savoir. Qu'en est-il aujourd'hui ? Selon François Dubet, si l'école fait la promesse d'offrir une compétition sans influence extérieure, où chacun se positionnerait selon son « mérite », d'après le critère d'« égalité des chances », cet idéal est une gageure, et quant au mérite, la notion reste discutable, car on sait bien que dans la pratique, certains disposent d'avantages. Quantitativement, ce sont les années 60 qui ont vu se développer la massification scolaire dans le secondaire. Les chiffres en attestent : 2 % de bacheliers en 1900, 15 % en 1864 et 80 % aujourd'hui. Dès lors, cette massification a transformé la jeunesse.

Une mécanique inégalitaire rentable

« Certaines promesses ont fonctionné : 35% des enfants d'ouvriers ont un bac général, le capital social a plutôt bien marché en revanche la troisième promesse liée aux enjeux de démocratie n'a rien de formidable ! », considère François Dubet. En effet, une école juste serait une école qui n'exacerbe pas les écarts entre les meilleurs et les moins bons des élèves. La méritocratie scolaire et l'égalité des chances sont des fictions, selon François Dubet pour qui « l'impureté du monde est rentrée dans l'école ».

« L'inégalité est située en amont de l'école et un espace de compétition scolaire n'efface pas les diverses inégalités, bien au contraire : il les creuse ! Personne ne s'inquiète des établissements ghettos avec 98 % d'immigrés. Et tout le monde se scandalise des 20 % que l'on fait rentrer à Sciences Po ! », poursuit l'universitaire bordelais.

Sans compter la quête du diplôme. Mieux informés, transformés en véritables coachs pour leurs enfants, les parents des classes moyennes poussent leur progéniture vers les filières élitistes, et mettent en œuvre un ensemble de stratégies (choix d'établissements, préférence pour certaines filières, certaines options, comme les classes euros ou le latin...) qui vont permettre à leur enfant de se distinguer, au sein d'un système qui entretient une « mécanique inégalitaire ». Les enfants des classes populaires et de la périphérie urbaine et ceux de la bourgeoisie ne participent pas à la même compétition. L'offre scolaire est en réalité très inégale et fonctionne « comme un marché rentable » où l'on vient chercher des biens de plus en plus rares.

Quels leviers possibles ?

« Il faut raisonner à partir des vaincus du système, faire en sorte que les faibles soient le moins faible possible ». L'élève de l'école élémentaire coûte environ 30 % de moins que le lycéen. Or, c'est à l'école élémentaire que se cristallisent les inégalités, beaucoup y sont en grande difficulté. Pourquoi ne pas instaurer un principe de justice distributive qui compense en partie les inégalités sociales de départ : « Imaginer des formations à la carte ? Développer la formation en alternance ... », suggère François Dubet.

Mais il s'agit également pour le sociologue de redéfinir une culture commune, un socle : « l'école a perdu de son emprise culturelle. L'instruction civique, les cours de culture Républicaine, ça ne marche plus, d'autant plus si leur environnement scolaire leur donne un spectacle en contradiction avec ces valeurs. Ceux d'en bas se sentent trahis, méprisés et ne sont pas prêts à jouer le jeu. » L'électorat est aujourd'hui le reflet de ces clivages, les mécanismes pervers et paradoxaux de la massification scolaire ont aujourd'hui une influence sur le vote :

« Macron séduit les diplômés à haut revenu, Mélenchon les diplômés à faible revenu, Fillon les diplômés avec patrimoine et Le Pen les sans diplômes à faible revenu ! » Le niveau du diplôme est aujourd'hui corrélé au choix de vote.

Fin du modèle Westphalien, nouveaux défis

François Dubet conclura sur sa raison d'espérer : « il faut reconstruire une vie politique entre l'expérience des individus et la vie sociale. Nous sommes dans ce moment où le vieux système social démocrate est en train de s'effondrer, c'est la fin du modèle Westphalien, de l'État nation, avec un pouvoir souverain, une culture commune et une économie nationale. On est dans ce moment de vide qui génère de la panique mais laisse place à de nouvelles identités, de nouvelles constructions possibles. »

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Commentaire 1
à écrit le 11/02/2020 à 17:23
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L'humain devra d'abord comprendre devoir se recentrer sur l'intérieur pour définir la réalité qu'il se crée avant d'attendre d'abord tout de l'extérieur. Ce que j'ai expérimenté à vie en travaillant mes "DITS-EUS" (Je serais ce que je crois obtenir e...

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