"Arrêtons avec la startup nation, passons à l’industrie nation"

Plus de 6 mois après la liquidation judiciaire de la société limougeaude Cybedroïd, spécialisée dans la fabrication de robots et semi-humanoïdes de service, son fondateur, Fabien Raimbault, revient sur les obstacles rencontrés pour passer à la phase d’industrialisation. S’il reste amer, son message est clair : arrêtons avec la startup nation, soyons plus regardants à l’entrée et aidons les sociétés qui ont fait leur preuve de concept et de marché. Il lui aura manqué 2 M€ destinés à son outil de production.
Cybedroïd prévoyait d'écouler 45 robots en 2020.
Cybedroïd prévoyait d'écouler 45 robots en 2020. (Crédits : Cybedroïd)

Fabien Raimbault est un passionné de robotique. Agé de 40 ans, il a participé en 2008 à la création de l'association de robotique Caliban et c'est en 2011 qu'il s'est lancé, à Limoges, dans l'aventure Cybedroïd, spécialisée dans la fabrication robots et semi-humanoïdes de service. Aventure qui s'est arrêtée l'été dernier. L'entreprise limougeaude a été placée en liquidation judiciaire en juillet. Le dossier est toujours entre les mains du mandataire judiciaire.

LA TRIBUNE - Vous dites que le produit était là, les clients aussi, ainsi que le marché. Comment expliquez-vous cette liquidation ?

FABIEN RAIMBAULT - L'explication est très pragmatique. En France, il n'y a pas de problème pour créer une société. Des organismes aident à la création de sociétés innovantes. Le problème, c'est de passer à l'étape suivante et de réussir à industrialiser le produit. 90 % des startups meurent au cours des 3 premières années faute d'investisseurs. Sur les 10 % restantes, 90 meurent au bout de 5 ans. Enfin, sur les 10 % restantes, 90 % meurent lors de la phase d'industrialisation. C'est ce qui nous est arrivé. En France, on aime innover mais on n'aime pas concrétiser. Il y a peu de considération une fois que le produit est là. Pour pouvoir industrialiser, Cybedroïd avait besoin de 2 M€ non pas pour de la R&D mais pour l'outil de production. Car le produit, effectivement, nous l'avions avec le robot Leenby, mais nous n'atteignions pas le seuil de rentabilité, c'est-à-dire que l'on était capable de sortir un robot par mois, or il en fallait quatre.

Quels ont été les freins auxquels vous avez été confrontés ?

Il y a d'abord eu la réforme de l'ISF [impôt de solidarité sur la fortune]. Avant, les personnes imposées investissaient, avaient des avantages fiscaux et nous, la somme escomptée pour avancer tout en ayant des actionnaires minoritaires dans la société. Avec la réforme, ces personnes là n'étaient plus intéressées. Nous nous sommes donc tournés vers les fonds d'investissement français, très frileux après l'expérience malheureuse d'Aldebaran, la société de robotique rachetée par SoftBank Robotics Europe. Restaient les industriels, mais l'un d'eux nous a clairement dit qu'il était plus intéressant de nous laisser mourir et de nous racheter au tribunal de commerce...

D'autres choix auraient-ils été possibles ?

Quand il y a eu la réforme de l'ISF, des Sud-coréens nous avaient proposé de racheter la société. J'aurais du accepter, le société existerait toujours. Il y aurait peut être eu un bureau de R&D en France et une usine en Corée. J'ai refusé à l'époque. Je voulais produire en France.

Lire aussi : Objets connectés : pourquoi HU&CO est en liquidation judiciaire

Avez-vous été suffisamment soutenus ?

Je n'ai aucun reproche à faire à la Région ou à Bpifrance. Les six derniers mois, Cybedroïd était quasiment sous intraveineuse grâce à la Région Nouvelle-Aquitaine, ce qui permettait de survivre le temps que la levée de fonds se fasse. Malheureusement, un investisseur intéressé s'est retiré au dernier moment. En revanche, au niveau national, il n'y a rien.

Quel est votre message ?

Arrêtons avec la startup nation ! Soyons plus regardants à l'entrée et aidons les entreprises qui ont fait leur preuve de concept et de marché. Une enveloppe pourrait être consacrée à la french industrie, non pas pour embaucher ou améliorer le produit mais pour des aides logistiques et techniques, car c'est très compliqué d'industrialiser. En Asie, ils n'ont quasiment pas de centre d'innovation, en revanche pour industrialiser, c'est autre chose. Un objet est copié en trois jours ! C'est d'ailleurs une autre condition. Il faut que cela aille vite.

Plus largement, sur la robotique, n'êtes vous pas arrivés trop tôt sur le marché ?

Bien sûr que non. Nous étions là au bon moment ! Nous avons fabriqué douze robots et pour 2020, sur les 45 que nous prévoyions d'écouler, au moins 35 avaient été vendus. Un robot de service est toujours en fonctionnement dans une agence du Crédit Agricole à Toulouse pour désengorger les fils d'attentes. Nous avions engagé une réflexion avec un opticien mais aussi des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (ephad). Cybedroïd avait d'ailleurs conçu un robot entièrement intégré qui n'avait pas besoin d'être connecté à Internet. Sur chaque problématique, on apprenait au robot un métier spécifique pour décharger le labeur humain, l'objectif n'étant pas de remplacer l'humain mais de fournir un nouvel outil de travail.

Quelle était l'échelle de prix ?

Sur des machines à performances équivalentes à ce qui se fait en Asie, nous arrivions au même prix. Pourquoi ? Parce qu'après la création de Cybedroïd, j'ai créé France Robotique qui existe toujours. Cybedroïd concevait et France Robotique fournissait. La volonté, c'était de créer une centrale d'achat pour Cybedroïd, ce qui permettait, via un effet de masse, de baisser le prix d'achat des pièces et donc, tout en fabricant en France, d'être compétitif par rapport au marché asiatique.

Vous croyez toujours en la robotique ?

J'y crois plus que jamais. J'assisterai d'ailleurs à la Robocup qui se tiendra à Bordeaux cette année (23-29 juin), mais en tant que spectateur.

Vous êtes amer...

J'aimerais que ce soit de la colère, on peut la crier, l'extérioriser, mais là c'est effectivement de l'amertume, je suis très amer.

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Commentaire 1
à écrit le 25/01/2020 à 14:41
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La prophétie de Houellebecq va bientôt se réaliser : la France ne sera qu'un vaste parc d'attraction où des touristes étrangers viendront voir des "gilets jaunes" dans de villages entourés de friches industrielles.

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