Marché de l'art : tour d'horizon de sa mutation digitale

IDEES - Lorsque le marché de l'art défraie la chronique, c'est d'abord avec des œuvres, des lieux et des prix prêtant aux fantasmes. Avec une connexion internet, il tend cependant à permettre de s'approprier les variations et thèmes artistiques de toute période. Résistant encore un peu à la "révolution digitale", de galeries confidentielles aux ventes aux enchères pour initiés, le marché de l'art a suivi la voie technologique. En quelques années, il a su proposer une nouvelle version de lui-même tendant vers la maturité. Par Emmanuel Gastou, Project Leader au sein de SQLI.
Emmanuel Gastou, Project Leader au sein de SQLI
Emmanuel Gastou, Project Leader au sein de SQLI (Crédits : SQLI)

Cette tribune s'appuie sur le rapport de Hiscox, la grande référence du marché de l'art, l'objectif étant de rebondir sur les tendances afin d'en nourrir l'analyse de l'e-marchand.

Une croissance révélatrice de la digitalisation des clients

De 1,5 milliards de dollars en 2013, le marché de l'art a bondi jusqu'aux 4,64 milliards de dollars en 2018. La croissance a été plus faible en 2018 que les années précédentes, marquant le début d'une phase de stabilisation. Cette stabilisation peut être l'occasion idéale pour repenser le marché, avec par exemple plus d'investissements et d'actions favorisant le développement de services digitalisés, la démocratisation de l'achat d'œuvres d'art ou encore l'émergence de nouvelles offres. Une chose est sûre, le marché de l'art prouve qu'il répond à une attente d'accessibilité en ligne franche et que les consommateurs sont prêts. Les perspectives restent à la croissance.

Ces affirmations prennent en compte ces statistiques comportementales :

  • Instagram est le meilleur vivier pour trouver de nouveaux clients et le lieu de flâneries de 65% des amateurs d'art ;
  • 29% des acheteurs d'art de la génération Y préfèrent l'achat en ligne ;
  • Les clients digitaux sont moins fidèles que les clients des mortars (magasins physiques), plus zappeurs ;
  • Le mobile est de moins en moins une option pour bien vendre.

De la galerie d'art à la galerie digitalisée

Le site internet "vitrine" est aujourd'hui la règle pour toutes les galeries, chacune choisissant son niveau de communication : simple carte de visite, présentation d'une histoire, d'une philosophie ou démonstration d'une expertise. Et cela va de soi, la vitrine est le minimum vital. Toutefois, des galeries d'art s'ouvrent doucement, timidement au commerce en ligne. Un peu comme les grandes marques de luxe avant elles, les grandes galeries tentent l'e-shop. Ces zones de commerce en ligne ajoutées aux sites institutionnels proposent des produits dérivés et des livres. Le prix serait-il un sujet ?

Pas pour les challengers ! Une première génération de galeristes physiques a décidé de prendre le virage plus nettement, à l'instar de Hugo Galerie à New York, Bouillon d'art à Bordeaux, ou encore le groupe de galeries franchisées Carré d'artistes pour ne citer qu'eux.

Pendant ce temps, le mot-clé "galerie d'art" révèle une concurrence nouvelle et très friande de positionnement dans les moteurs de recherche. C'est bien normal, Google est le pas de porte des galeries d'art en ligne. Exploratrices de nouvelles approches, elles restent des sélectionneurs d'œuvres et d'artistes et se différencient jusque dans leur slogan. Si Kazoart facilite et simplifie l'achat d'art grâce au numérique ("Rendre l'achat d'art moins intimidant"), Artistics ouvre l'accès à l'art contemporain à tous ("S'entourer d'art contemporain n'est plus un privilège d'initiés").

Être un pure player implique une proposition retravaillée et adaptée à la consommation digitale offrant une expérience utilisateur optimisée, avec :

  • L'affichage des prix, 90% des nouveaux acheteurs en ligne étant demandeurs de transparence sur le prix des œuvres ;
  • La mise en situation, permettant de regarder une œuvre comme si on était en face. Concrètement, il s'agit de présenter l'œuvre accrochée ou posée non loin d'un élément mobilier servant de référence pour les dimensions ;
  • La scénarisation et la personnalisation de la recommandation : les galeries virtuelles profitent de leurs espaces d'exposition pour proposer un grand nombre d'œuvres et, pour faciliter la recherche de l'œuvre coup de cœur, elles rivalisent d'ingéniosité et de technologie en proposant des sélections au plus proche des appétences du visiteur. D'ailleurs l'intelligence artificielle commence à devenir un sujet ;
  • La possibilité de suivre un artiste, pour construire et maintenir le lien
  • Les ventes privées, permettant de jouer sur l'opportunité et l'urgence de s'offrir une œuvre d'art à un prix exclusif et temporaire.

Le merchandising de l'art en ligne s'accompagne de services recréant ce qui est parfois possible sur le marché physique : négociation (raisonnable), commande de travaux d'artistes, et peut-être un jour création en live ? De toute évidence, ce sont aujourd'hui beaucoup d'acteurs passionnés qui tentent de trouver leur place. Et de places de marché, certains en ont fait leur commerce.

Les marketplaces du marché de l'art

Certains entrepreneurs ont pris le parti de proposer un espace où la profondeur et la largeur de l'offre est aussi un service pour les marchands d'art. En effet, le principe de la marketplace (place de marché) est d'offrir un espace de vente sur un site à forte fréquentation contre commission sur les ventes, et pour certaines contre rémunération pour leurs services complémentaires (logistique, services financiers, promotion, etc.).

Le cercle vertueux des marketplaces réside dans leur capacité à attirer un grand nombre des meilleurs vendeurs. L'augmentation de l'offre génère plus de trafic, ce qui attire encore plus de vendeurs. Sur ce terrain, les places sont chères et difficiles à prendre. Certaines initiatives semblent réussir le pari et se distinguent : à l'international, Arsty détient la palme d'après les professionnels ; en France, c'est Artsper. Ces acteurs ont réalisé un véritable tour de force quand on voit le nombre de galeries et d'œuvres qu'elles présentent.

Leur positionnement est totalement assumé : mettre en évidence les galeries et convaincre les plus importantes d'afficher des prix sur leurs pages (alors que les sites institutionnels de ces dernières ne le font pas). Ces marketplaces font bénéficier de leur trafic et laissent les experts exprimer leurs talents de vendeurs. A l'instar d'autres secteurs tel que la mode (La Redoute, Spartoo), la marketplace d'œuvres d'art sera probablement le modèle le plus puissant. D'une part, l'œuvre d'art a besoin d'une UX (expérience utilisateur) adaptée ; Amazon joue sur ce terrain mais pas dans cette cour, les marketplaces spécialistes sont donc pleinement légitimes. D'autre part, le commerce digital est très engageant économiquement ; les galeristes et marchands d'art, qui ne sont pas des métiers du digital, tirent ainsi profit des services qu'apporte une marketplace en termes d'infrastructure et de génération de trafic (grands nombres de visiteurs donc de clients potentiels).

Beaucoup de commerçants d'autres secteurs ont hésité avant de se rendre compte qu'il y avait finalement une synergie avec les marketplaces. Attention, le refus de passer par ces plateformes peut être un choix stratégique, tout dépend du positionnement et de la force de la clientèle d'une marque, d'un distributeur.

La vente aux enchères, la reine du marché de l'art

La vente aux enchères, c'est la partie du marché de l'art représentant la majorité des flux financiers. Nous avons tous l'image du commissaire-priseur et de son marteau et pourtant, c'est là que la digitalisation est en marche forcée !

Les professionnels distinguent 2 types de ventes aux enchères en ligne :

  • La vente online : tels que sur Ebay, les acheteurs enchérissent sur une période donnée ;
  • La vente live : la version internet de l'enchérisseur au téléphone que nous voyons dans certains films. La vente et les enchères commencent simultanément.

La vente live est celle qui porte le plus d'intérêt. Elle est soumise à un protocole et à un timing qui permet de créer l'émotion même en ligne ! C'est aussi lors de ces ventes que l'on peut croiser les œuvres les plus incroyables. La vente live a enrichi les ventes aux enchères de toutes les fonctionnalités utiles suivantes :

  • Présentation des produits (de plus en plus qualitative)
  • Programmation de l'enchère maximale
  • Alertes pour le début de la vente
  • Enchérissement en direct
  • Vidéo en direct (en développement)
  • Paiement mobile

On peut dire que sur le marché de l'art "content is really king", et le contenu c'est d'abord "l'objet" mis aux enchères. Les grands noms des enchères sont tous sur le secteur Artprecium, Artcurial, Rossini, Paddle8, et Heritage Auction entre autres. Les marketplaces, telles que Artsy et Invaluable, en recherche permanente d'animation de leur offre, s'y sont mises aussi.

En France, l'acteur montrant la plus belle prise de parts de marché est Interenchères. Cette association de 245 maisons de vente françaises représentait 45% de toutes les ventes aux enchères nationales confondues en 2017, soit 1,43 milliards d'euros. Mais soyons clairs, il est inimaginable que toutes les ventes aux enchères ne finissent pas sur le web tant le principe même d'immédiateté est au cœur du web et de l'enchère, et quelle expérience utilisateur ! D'ailleurs, chez Interenchères :

  • Le panier moyen s'élève à 350 euros pour la spécialité Tableaux, Mobilier et Objets d'art ;
  • Les montres de marques, les designers iconiques, les artistes majeurs du XXe siècle et les marques célèbres de voiture figurent en tête des mots-clés les plus recherchés ;
  • 47 % des enchérisseurs les plus réguliers sont inscrits sur Interencheres Live depuis moins de trois ans.

On peut même imaginer que le web va générer du "drive-to-auction" (le drive-to-store étant un graal pour les retailers). En effet, la croissance des enchères live pourrait bien donner envie de se rendre sur place.

Ainsi, le marché de l'art est en pleine phase de digitalisation avec des effets envisageables sur son écosystème. Certains acteurs connaissent une concentration, surtout dans les enchères. Les galeries en ligne se multiplient ; après tout ce sont d'abord des dénicheurs de talents. Des accélérations exponentielles et immédiates de cotes d'artistes sont probablement à prévoir. Imaginez, si Bernard Arnaud achète l'œuvre d'un artiste vendu par une petite galerie en ligne, les serveurs du site web exploseraient dans les 24 heures !

Les experts du transport d'œuvres d'art comme LPArt pourraient évoluer digitalement pour saisir des opportunités (plus de particuliers, l'augmentation du taux de remplissage de leurs navettes, par exemple).

La blockchain, elle, pourrait connaitre une adoption plus rapide que prévu. En effet, elle permet de sécuriser les transactions et de stocker des informations de la manière la plus sûre possible. Et ça tombe bien, une des plus grandes angoisses des acheteurs est de tomber sur de fausses œuvres !

Dans tous les cas, ce marché a cela de plaisant qu'il n'existe que par et pour l'art ; il y aura toujours une place pour des galeristes de génie capables de découvrir des créatifs fabuleux. Ce commerce digital se développera nécessairement au service de l'art lui-même.

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Créée en 1990, SQLI est une agence internationale dédiée à l'expérience digitale et spécialisée dans la mise en œuvre, le déploiement mondial et l'exploitation de plateformes de commerce unifié. Un positionnement unique au confluent du conseil, du marketing et de la technologie, permet à ses équipes d'experts d'accompagner durablement les grandes entreprises et marques européennes dans le développement de leurs ventes et de leur notoriété ainsi que leur efficacité en réinventant l'expérience client, partenaire et collaborateur.

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