Ford Aquitaine Industries : Bruno Le Maire ne désarme pas

Bruno Le Maire recevra les syndicats de Ford Aquitaine Industries ce lundi 18 février dans l'après-midi. Pour La Tribune, il s'est prononcé il y a quelques jours sur le bras de fer qui l'oppose à Ford au sujet de l'avenir de ce site industriel de Blanquefort, employant 850 personnes, dont la fermeture est programmée à l'été prochain.
Même plombée, la piste d'une reprise de FAI par le groupe Punch n'était pas encore abandonnée ce lundi matin.
Même plombée, la piste d'une reprise de FAI par le groupe Punch n'était pas encore abandonnée ce lundi matin. (Crédits : Agence Appa)

Spécialisée dans la fabrication de boîtes de vitesses automatiques, aujourd'hui le modèle 6F35, une six vitesses qui équipe notamment les Ford Kuga et les Mondeo, l'usine Ford Aquitaine Industries de Blanquefort, forte de 850 emplois, a été condamnée le 13 décembre à la fermeture définitive à partir d'août prochain. Une décision prise par le groupe Ford Motor Company (FMC), à Dearborn (banlieue de Détroit), présidé par Jim Hackett, maison-mère de FAI. Cette décision brutale est le résultat d'un bras de fer sans pitié où Ford ne veut visiblement laisser aucune chance au ministre de l'Economie et des finances, Bruno Le Maire. Alors que l'usine est rentable et considérée comme efficace !

Profondément choqué parce qu'il a considéré à raison comme un coup tordu, étant donné les intenses négociations qui étaient en cours avec la firme américaine, Bruno Le Maire a marqué les esprits du Sénat, où il se trouvait, quand il a appris la décision de Ford... via un communiqué.

"Je suis révolté et je suis écœuré par cette décision qui ne se justifie que par la volonté de Ford de faire monter son cours de bourse. Je veux dénoncer la lâcheté de Ford à qui je demande de parler depuis trois jours et qui n'a même pas eu le courage d'appeler le ministre de l'Economie et des Finances, a ainsi lancé Bruno Le Maire. Je veux dénoncer le mensonge de Ford, a-t-il poursuivi, qui dit dans ce communiqué que l'offre de reprise de Punch n'est pas crédible alors que nous y travaillons depuis des mois, avec les salariés et avec Punch. C'est une offre industrielle crédible et solide qui garantit l'avenir du site industriel de Blanquefort."

Groupe industriel belge, Punch-Powerglide a repris l'usine General Motors de Strasbourg, qui fabrique des boîtes de vitesses. Les syndicats de FAI ont tout d'abord considéré ce groupe, dirigé par Guido Dumarey, souvent présenté comme un Bernard Tapie belge, avec beaucoup de circonspection pour ne pas dire d'hostilité. D'autant qu'en guise d'apéritif les dirigeants de Punch ont demandé aux salariés de FAI d'accepter un gel de leurs salaires pendant quatre ans ainsi qu'une réduction de leur nombre de jours de RTT. Et puis la CGT, à la surprise générale, a accepté les conditions du groupe Punch. Pour Philippe Poutou, ex-candidat NPA à la présidentielle et délégué CGT de Ford Aquitaine Industries, et Gilles Lambersend, secrétaire général (CGT) du comité d'entreprise de FAI, ce sacrifice était acceptable pour obtenir une poursuite de l'activité. Une stratégie également adoptée par la CFE-CGC et FO. Cette acceptation des conditions de Punch n'a pas été bien accueillie par la totalité des 850 salariés actifs de FAI et en particulier à la CFTC, qui réclame l'organisation d'un référendum dans l'usine pour savoir s'il existe ou non une majorité de salariés en faveur de la cession au groupe Punch. Le plan du repreneur belge prévoit dans un premier temps la reprise de 400 salariés maximum.

Philippe Poutou soutient Bruno Le Maire et s'interroge

Dans l'optique de la fermeture, il est prévu que 150 salariés de FAI soient transférés à l'usine sœur de Getrag Ford Transmissions (GFT) voisine de quelques centaines de mètres (1.200 salariés, fabrication de boîtes de vitesses manuelles). Environ 300 autres, les 55 ans et plus, partiraient en préretraite. Les aides prévues dans le cadre du PSE complétant le dispositif pour les 400 salariés qui resteraient sur le carreau, dans un contexte compliqué tant la filière auto est peu présente dans la région.

Sur le papier le mix reprise de l'usine, départs en préretraite et mutations à GFT semble fonctionner. Et fin novembre, des rumeurs laissaient entendre que le groupe Ford pourrait, en plus du financement des départs en préretraite, aider financièrement à la reprise de FAI à hauteur de 150 M€, les collectivités complétant la corbeille avec 17 M€ d'aides publiques. Mais quand Ford a annoncé le 13 décembre rejeter le plan de reprise de Punch, toutes ces hypothèses ont été balayées.

Ford mène le jeu et entend bien que personne ne l'oublie. Malgré les menaces lancées le 19 décembre par Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, qui a menacé Ford d'être écarté des marchés publics, le gouvernement a jusqu'à présent riposté a minima en s'en remettant à la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, du travail et de l'emploi) de Nouvelle-Aquitaine, chargée de l'homologation du PSE. Le 28 janvier, cette dernière a ainsi retoqué le plan de Ford, accordant un délai supplémentaire compris entre 15 jours et un mois au groupe Punch pour muscler son offre de reprise.

Engagé sur ce dossier dans une alliance de fer avec le ministère de l'Economie et des Finances, dont il reste persuadé qu'il ne lâchera pas l'affaire, tout comme le groupe Punch, Philippe Poutou ne doute pas vraiment mais s'inquiète.

"Le gouvernement n'a-t-il pas les moyens de court-circuiter Ford ? Face à une décision forte de l'Etat, Ford ne pourrait rien faire. Aucune chance pour qu'ils fassent déployer l'armée américaine devant l'usine. Tant que ce n'est pas mort il faut continuer, oser parler, arrêter de se cacher derrière l'inconstitutionnalité de certaines options", déroule Philippe Poutou.

Malgré les similitudes, ce dossier a aussi de grosses particularités par rapport aux autres conflits sociaux.

FAI : des conditions exceptionnelles pour les ouvriers

Un dossier différent d'abord parce que les activités de FAI ne seront pas perdues mais redistribuées. L'usine Ford de Van Dyke (Michigan), où a été conçue et développée la boîte de vitesses 6F35, reprendrait la production bordelaise. Celle des carters Fox (enveloppes de protection des moteurs) partirait en Turquie, tandis que la fabrication des double-embrayages (DCT) pourrait être récupérée par Valeo pour le compte de GFT. Première vice-présidente (PS) du Conseil départemental de la Gironde, Christine Bost est, avec Véronique Ferreira, maire socialiste de Blanquefort, une quasi activiste de la défense de FAI. Quand les syndicats CGT, CFTC, CFDT et FO ont décidé de monter une action revendicative à Cologne, en Allemagne, le 20 juin 2018 devant le siège de Ford Europe, toutes les deux étaient du voyage.

"Punch ne bloque pas. Ils ont bien montré depuis le début leur acharnement pour pouvoir travailler avec Ford, qui ne leur a pas facilité la tâche. La difficulté actuelle pour Punch, c'est de pouvoir présenter un carnet de commandes suffisamment important", confirme Christine Bost.

Puis l'élue enfonce un clou, soulignant la détermination de la firme américaine de fermer Blanquefort... alors que le site est rentable et que ses salariés sont considérés comme parmi les plus productifs au monde d'après les classements internes de Ford...

"Avec Véronique Ferreira nous avons pu rencontrer Steven Armstrong, vice-président du groupe Ford et président de Ford Europe. Et là, les yeux dans les yeux, il nous a dit que, dans la stratégie globale de Ford, l'objectif était d'en finir avec cette usine de Blanquefort, même si ses salariés sont des « Best in class », les meilleurs de la classe. Je pense que l'ajournement du PSE est un espoir, un espoir infime mais quand même réel de pouvoir travailler sur un projet de reprise", veut croire Christine Bost.

Incontestable figure de proue (CFTC) de la mobilisation des "Ford" à partir de 2008, Francis Wilsius, désormais conseiller régional (PRG), ne supporte pas que des salariés refusent le combat pour la poursuite de l'activité et préfèrent partir en préretraite. Un comportement qu'il juge égoïste. Il s'est allié avec la CGT pour sauver l'usine à la fin des années 2000. Parce que FAI offre selon lui des situations introuvables ailleurs dans la région pour les ouvriers, qui, avec de l'expérience peuvent espérer gagner entre 2000 et 2200 euros net par mois, sans compter les avantages. Alors que la Région n'est pas associée aux négociations entre le gouvernement et Ford, Francis Wilsius estime que le constructeur automobile américain fait aussi pression de façon indirecte.

Un conflit social à dimension géopolitique

"Ford Aquitaine Industries et Getrag Ford Transmissions partagent de nombreux services communs et la fermeture de FAI va renchérir les coûts de production et réduire la rentabilité de GFT. Ce n'est pas neutre. Et puis Ford détient 50 % de GFT. C'est un point de pression que peut utiliser le groupe américain contre le gouvernement : si vous nous cassez les pieds, vous devrez vous débrouiller avec la perte de 1200 emplois à GFT", analyse Francis Wilsius.

Le dernier étage de ce conflit social hors norme est géopolitique. C'est ainsi que l'an dernier Bruno Le Maire a précisé qu'il avait contacté le secrétaire du Trésor des Etats-Unis, Steven Mnuchin, au sujet de FAI, mais aussi le conseiller économique du président Donald Trump... "Avec la fermeture de FAI le groupe Ford applique son plan stratégique et va pouvoir aussi se présenter devant le président Trump comme un bon soldat qui ramène de l'activité aux Etats-Unis, à Van Dyke. Et ça c'est un vrai plus", avance un proche du dossier qui préfère rester anonyme. Très engagé dans le suivi du dossier de Ford Aquitaine Industries, dont il est devenu un acteur clé, le ministre de l'Economie et des finances, Bruno Le Maire, a accepté de s'exprimer sur ce sujet dans nos colonnes. Le mois de décembre dernier a été particulièrement tendu entre lui et le patron de Ford, Jim Hackett, mais semble-t-il sans dégâts irréparables.

"Le dialogue avec Ford n'a jamais été rompu, avertit Bruno Le Maire. Pour autant, les discussions en cours avec Ford ne m'interdisent pas d'exprimer, avec vigueur quand il le faut, la détermination du gouvernement. Les services de l'État ont fait le maximum pour sécuriser le constructeur en cas de cession, et je condamne son attitude peu constructive. Mais le dialogue reste nécessaire. Je n'ai qu'un seul objectif : préserver l'avenir industriel du site de Blanquefort. Et pour y arriver, Ford jouera un rôle clé. Pour l'instant, nous n'avons pas d'accord mais nous y travaillons quotidiennement."

La stratégie de Ford n'a visiblement pas facilité la constitution d'un dossier de reprise de FAI par le groupe Punch. Ce dont le ministre est conscient même s'il met l'accent sur les responsabilités du repreneur potentiel :

"Toutes les parties sont d'accord pour le dire, Punch et les salariés les premiers : un projet aussi ambitieux que celui de Punch est risqué si aucun des clients envisagés ne confirme son intérêt. Pour le moment, ce n'est pas encore le cas, relève le ministre, et il ne reste plus beaucoup de temps pour y parvenir. Envisager une cession sans un minimum de certitudes industrielles n'est une option pour personne. Ford n'a pas aidé Punch en communiquant sur son intention de fermer plutôt que de céder : les clients potentiels font face à une situation incertaine qui ne les incite pas à s'engager."

Bruno Le Maire n'exclut pas une intervention de l'Etat

La question cruciale des moyens de pression, que le gouvernement pourrait mettre en œuvre pour convaincre le groupe Ford de jouer le jeu de la reprise, pose aussi la question des attentes de Ford répond le ministre, qui n'exclut pas une intervention de l'Etat.

"Dans le passé, Ford a déjà connu des difficultés après avoir cédé un site à un repreneur. Pour permettre à une reprise de se faire, il faut donner à Ford de solides garanties sur le plan juridique. J'ai demandé à mes services d'étudier toutes les options, y compris avec une intervention de l'Etat", confirme Bruno Le Maire, qui semble ouvrir la porte à de nouvelles options. "Nous sommes convaincus que le risque juridique peut facilement être écarté et nous l'avons fait savoir à Ford. Au-delà des questions juridiques, notre premier argument doit être la qualité du projet industriel de Punch pour le site et les perspectives qui peuvent être données aux salariés. Si toutes les conditions économiques et industrielles sont réunies, et j'y mets toute mon énergie quotidiennement avec mes services, Ford devra prendre ses responsabilités et accepter la cession du site de Blanquefort."

Après Bernard Lavilliers, le 21 avril 2018 à la salle des fêtes de Blanquefort, au nord de Bordeaux, ce sera au tour de Cali de tenir le haut de l'affiche le samedi 2 mars, à la salle des fêtes du Grand Parc à Bordeaux, en soutien aux salariés de Ford Aquitaine Industries (FAI) mobilisés contre la fermeture de leur usine. A Blanquefort rien n'est encore perdu.

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Article initialement paru dans l'hebdomadaire de La Tribune du vendredi 15 février

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Commentaires 7
à écrit le 19/02/2019 à 18:23
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Un voyage d'Etude " All Inclusive " au Paradis, et à durée indéterminée, pour Poutou et Caramades : République Populaire Démocratique de Corée, et ainsi délestés, les U.S négocieront, et très favorablement.

à écrit le 19/02/2019 à 10:48
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Pauvre Bruno, son impuissance nous fait mal qui insiste à nous raconter qu' il va faire venir ce qui se délocalise à l' est à grands coups de GOPE-de-Bruxelles -article 63 du TFUE- ou feuille de route à Macron ..

à écrit le 19/02/2019 à 10:19
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Malheureusement et comme tout est impermanent on ne peut fabriquer des boites de vitesses pour des voitures qu'on ne vendra pas. Il est temps de changer de logiciel.

à écrit le 18/02/2019 à 17:56
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il faudrait obliger la cgt et fo a racheter le site plein pot, salaries compris ils pourraient alors augmenter les salaires et diminuer le temps de travail ils en ont les moyens eux, avec leurs chateaux, leurs permanents, et les 30 milliards de la ...

le 19/02/2019 à 15:31
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Que Poutou son chef CGT Communiste, rachète çà en Coop à ses ennemis U.S. Il instaurera les 12H de travail hebdo, pour 3000eur net, avec 16ème mois, et 10 semaines de congés payés.

à écrit le 18/02/2019 à 17:31
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Le BLOCAGE; nœud; et la plaie à Blanquefort, ennemi naturel JURE, des chefs d'entreprises et des U.S.A est l'Extrème Gauche Communiste Marxiste Léniniste POUTOU Site condamné par sa présence, lui et ses proches Caramades

à écrit le 18/02/2019 à 17:16
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Qui il n'y a de ça que ne serait-ce qu'un an, aurait pensé que LEMAIRE deviendrait l'homme fort des LREM hein !? SI ça se trouve, avec tout le boulot que lui refilent les ringards en marche, il va devenir bon et compétent ! La preuve par le ...

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