Immobilier d'entreprise (OIEB) : quand la finance dessine la ville

Alors que l'année 2017 devrait être un millésime record pour l'immobilier d'entreprise à Bordeaux, des interrogations surgissent sur l'impact de la financiarisation de ce marché sur le visage de nos métropoles. C'est pour débattre de cet enjeu que le Forum urbain a réuni, le 15 décembre dernier, un chercheur, un urbaniste, un promoteur et un architecte dans les locaux de Sciences Po Bordeaux.
(Crédits : Agence Appa)

150.000 m2 de nouveaux bureaux devraient être signés dans l'agglomération bordelaise en 2017, soit un bond de près de 50 % en un an, selon les dernières projections de l'Observatoire de l'immobilier d'entreprise de Bordeaux métropole (OIEB). La métropole devient ainsi le 3e marché le plus dynamique hors Ile-de-France (qui concentre les 3/4 des investissements au niveau national). Une évolution qui illustre le nouveau modèle financier de l'immobilier tertiaire qui s'est imposé ces dernières années, comme l'explique Antoine Guironnet, chercheur au LATTS (université Paris Est Marne-la-Vallée) et à l'Ecole nationale des ponts et chaussées, et auteur d'une thèse sur ce sujet :

"Le patrimoine immobilier tertiaire n'est plus seulement une valeur refuge mais il est devenu une source de revenus dont il faut maintenir voire maximiser la valeur en permanence. Cela est lié à l'intégration croissante des espaces urbains et des infrastructures avec les marchés financiers par l'intermédiaire des gestionnaires d'actifs, les fameux asset managers."

En clair les grandes entreprises ont eu tendance depuis les années 90 à céder la propriété de leurs locaux pour devenir locataires et réorienter les fonds immédiatement disponibles vers leur cœur de métier, leurs actionnaires ou la R&D. Le marché de l'immobilier d'entreprise a ainsi proposé "des opportunités de diversification pour les investisseurs avec des possibilités de plus-value à la revente et des perspectives de revenus réguliers et relativement sûrs via les loyers", poursuit Antoine Guironnet. En France, le chercheur lie la montée de ce phénomène à l'essor de la décentralisation et des métropoles et à l'évolution du financement des opérations urbaines vers le secteur privé.

Des critères financiers aux critères immobiliers

"Il est intéressant de noter que les investisseurs institutionnels n'investissent plus dans des immeubles mais dans des titres immobiliers gérés par des SIIC (sociétés d'investissement immobilier cotées) ou des fonds d'investissement", souligne-t-il.

Une évolution financière qui aurait une influence directe sur la typologie des immeubles qui sortent in fine de terre, selon Antoine Guironnet. Il met ainsi en évidence une transmission des critères de sélection entre le promoteur immobilier, le gestionnaire d'actifs et l'entreprise locataire :

"Les gestionnaires d'actifs traduisent leurs critères financiers (taux de rendement, degré de liquidités, niveau de risque, etc.) en paramètres immobiliers (surface, localisation, typologie, etc.). Depuis 10 ans les promoteurs se sont clairement alignés sur les critères des gestionnaires d'actifs, qui représentent, par exemple, les deux tiers de leurs débouchés dans les deux opérations étudiées(*). Ces derniers ne veulent pas de risque constructif et peu de risque locatif."

Un risque d'uniformisation ?

Une tendance qui peut être problématique puisque pour sécuriser l'investisseur elle tend à produire toujours le même type d'immeubles - grand gabarit, mono-fonctionnel, sécable facilement - pour cibler toujours les mêmes entreprises : des grands comptes capables d'offrir des garanties financière et de signer des baux fermes et de longue durée.

Un marché qui exclut de fait les TPE/PME, voire les ETI. "Les attentes des investisseurs ont aussi déteint sur les collectivités locales qui ont tendance à identifier leur politique de développement économique uniquement au nombre de mètres carrés de bureaux constructibles", pointe également Antoine Guironnet. Au risque d'entraîner une concurrence territoriale entre grandes métropoles voire infra-territoriale comme c'est le cas à Bordeaux entre le quartier des Bassins à flot et l'opération d'intérêt national (OIN) Euratlantique autour de la gare Saint-Jean.

Le risque d'uniformisation est cependant relativisé par Jean-Marc Offner, le directeur d'A'Urba, l'agence d'urbanisme de la région bordelaise :

"Les logiques de similarité dans la production urbaine sont nombreuses, anciennes et procèdent de différents facteurs : procédés de construction, effets de mode, normes, coûts, habitudes de travail, paresse intellectuelle, etc. La logique financière en fait partie et les complète mais je ne crois pas qu'elle soit la seule, ni qu'elle soit déterminante. En revanche, la financiarisation entraîne un effet d'éviction du logement locatif moins attractif que le bureau."

Une pression financière constante

De son côté, Simon de Marchi, vice-président de l'OIEB et responsable de programme chez le promoteur bordelais Altaé, veut aussi relativiser le poids des gestionnaires d'actifs dans la définition du marché. "Les investisseurs ont certes des exigences vis-à-vis des promoteurs mais l'objectif premier est d'accueillir des entreprises et donc de répondre à leurs attentes", fait-il valoir. Le premier critère de choix par une entreprise étant la localisation et la desserte en transports. "Nous cherchons des investisseurs pour financer les projets mais nous cherchons aussi des entreprises pour les utiliser", résume le promoteur.

Mais qu'elle provienne du promoteur, du gestionnaire d'actifs ou même du maître d'ouvrage public, la pression financière est devenue une constante dans la réalisation des programmes immobiliers. "C'est la triste réalité de la production de la ville : la commande publique connaît une raréfaction des moyens et la commande privé subit une pression très claire des investisseurs vers les promoteurs puis vers les architectes", témoigne ainsi Stéphane Hirschberger, architecte et enseignant à Bordeaux. "D'autant que les acteurs privés ne sont plus un acteur parmi d'autres dans la conception de la ville, ce sont désormais eux qui dictent la plupart des modes opératoires", regrette l'architecte.

(*) Il s'agit des Docks de Saint-Ouen, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) et du Carré de Soie, à Villeurbanne et Vaulx-en-Velin (métropole de Lyon).

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