Aéronautique et spatial : l'usine du futur ne doit pas oublier l'humain

L'usine 4.0 était au cœur de la 3e édition des Talents Nouvelle-Aquitaine de l'aéronautique et de l'espace, organisés par La Tribune et BAAS (Bordeaux Aquitaine aéronautique et spatial) mercredi 6 décembre 2017. Plusieurs dirigeants de premier plan ont souligné les immenses potentialités de la numérisation des lignes de production tout en insistant sur plusieurs défis à relever : la continuité numérique, la place de l'humain et les enjeux de formation.
Christophe Betencourt (Stelia Aerospace), Christophe Chartier (Immersion), Olivier Horaist (Safran), Jean Sass (Dassault Aviation) et Patrick Seguin (CCI de Bordeaux Gironde)

Robotisation, impression 3D, maquette numérique : les outils de l'usine du futur dessinent l'avenir mais aussi le quotidien des entreprises du secteur aéronautique et spatial de Nouvelle-Aquitaine. Cette usine 4.0, qui succède aux trois précédentes révolutions industrielles - mécanisation, industrialisation et automatisation - s'appuie notamment sur l'intelligence artificielle et la réalité virtuelle. Des innovations qui offrent autant de possibilités que de défis en termes de conduite du changement.

"L'usine du futur, c'est clairement l'usine du présent chez nous. Nous avons déjà robotisé le process de production de notre site de Méaulte, dans le Nord, qui compte 2.500 collaborateurs", se félicite Christophe Betencourt, directeur du site de Mérignac de Stelia Aerospace, entreprise créée en 2015 de la fusion d'Aérolia et de la Sogerma (6.500 salariés dans le monde, dont 1.500 dans la région, pour un chiffre d'affaires supérieur à 2 Md€). "Nous sommes en passe de combler le décalage entre nos salariés, qui sont hyperconnectés et agiles, et nos pratiques de travail, qui n'étaient pas ou peu digitales", poursuit le dirigeant qui met deux enjeux en avant : "la formation des personnels sur l'évolution des outils" et "le phasage de tous ces nouveaux outils entre eux, la mise en cohérence de chaque brique". Pour Christophe Betencourt, l'objectif est ainsi "d'embarquer toutes les équipes dans le processus de digitalisation via des prototypes, des ateliers et des outils de réalité augmentée."

"Se transformer pour survivre"

De son côté, Olivier Horaist, directeur industriel et achats chez le motoriste Safran (66.500 salariés, 16 Md€ de chiffre d'affaires), se montre plus terre-à-terre : "La numérisation et l'usine du futur ne sont pas un effet de mode. L'enjeu est avant tout de transformer les usines existantes pour ne pas qu'elles disparaissent face à la concurrence et pour profiter du potentiel énorme de la digitalisation !" L'objectif poursuivi par Safran est ainsi de "chercher la rupture à tous les niveaux : dans les cycles de production, dans les coûts, dans la qualité du produit."

L'entreprise a mis en place début 2017 deux lignes de production labellisées "Usine du futur". La démarche concerne désormais 70 lignes et une centaine de projets seront impactés dans les cinq ans. "Nous avons réorienté la R&D sur les process de production alors qu'elle était traditionnellement centrée sur les produits. L'enjeu principal est de capter la donnée, de la fiabiliser, de la centraliser et de l'utiliser grâce notamment aux outils de l'intelligence artificielle ", explique Olivier Horaist qui poursuit :

"Aujourd'hui, les coûts de contrôle d'une pièce représentent 15 à 25 % de son coût total. Si on maîtrise les process en amont, c'est-à-dire directement dans les commandes de la machine, on peut diminuer ces coûts de contrôle de manière phénoménale. Par exemple, à Bidos [Pyrénées-Atlantiques], nous travaillons sur du "closed door machining" pour produire des trains d'atterrissage en titane sans aucune intervention humaine dans des process de 30 à 40h. Cela pourra permettre faire fonctionner nos lignes de production en 24/7 sans la présence d'opérateurs le soir et le week-end par exemple."

Travailler sur la continuité numérique

Pour Jean Sass, directeur général de la transformation numérique de Dassault Aviation (10.000 collaborateurs, 3,8 Md€ de chiffre d'affaires), qui a une usine 4.0 pilote à Mérignac, le défi des années qui viennent sera aussi de passer à l'entreprise 4.0. "La numérisation vient souvent d'en haut et on a tendance à oublier les ateliers au profit des bureaux d'études. Il faut que nous soyons conscients que si on n'intègre pas toute la chaîne des bureaux d'étude aux usines alors la compétitivité et l'efficacité de la numérisation ne seront pas au rendez-vous", met-il en garde. "La continuité numérique est extrêmement importante de la conception de la pièce primaire à l'assemblage final !"

Mais attention au risque de décrochage entre les grands groupes et leurs sous-traitants, alerte en substance Patrick Seguin, le président de la CCI Bordeaux Gironde : "L'usine 4.0 est un concept tout neuf qui nécessite un niveau de compétence très pointu. Il faut aller rassurer les chefs d'entreprise et leurs collaborateurs qui craignent souvent de voir leurs emplois disparaître !" Pour le président de la chambre consulaire il faut donc aller à la rencontre des PME et ETI pour leur démontrer l'intérêt de l'outil numérique et les accompagner sur le volet formation. "Il y a une problématique claire d'élévation de compétences et d'apprentissage au sein des donneurs d'ordres et des sous-traitants. Il faut jouer grouper pour réussir car si on ne se met pas collectivement au niveau, d'autres le feront à notre place !", lance ainsi Patrick Seguin à l'adresse des dirigeants du secteur aéronautique et spatial, rappelant les difficultés de recrutement dans certains métiers.

Le robot ne doit pas oublier l'humain

Les salariés sont ainsi au centre du discours du président de la CCI : "Mettre tous les collaborateurs au niveau c'est aussi un enjeu social et sociétal, c'est notre responsabilité car on ne pourra pas bâtir l'usine du futur avec personne dedans !" Et Christophe Betencourt, de Stelia Aerospace, d'embrayer : "L'usine du futur est un vecteur formidable pour attirer les jeunes profils. Le paramètre financier et la productivité sont fondamentaux mais ne doivent pas être les seuls critères pris en compte."

D'autant que la demande des collaborateurs pour les nouveaux outils digitaux est bien réelle à en croire les différents dirigeants présents. "Il y a une énorme appétence pour le 4.0 dans les ateliers, quel que soit l'âge et le profil. Les collaborateurs sont persuadés que le numérique les aidera à mieux faire leur travail", assure Jean Sass, de Dassault Aviation, tandis que son collègue de Safran, Olivier Horaist, se dit persuadé que "le numérique permet à l'humain d'exprimer davantage sa créativité en étant déchargé d'autres tâches."

Intelligence collective

Même son de cloche chez Christophe Chartier, PDG d'Immersion, entreprise pionnière de la réalité virtuelle fondée en 1994, qui accompagne plusieurs acteur de l'aéronautique et de l'espace depuis une vingtaine d'années sur cette thématique et qui collabore également avec Renault Trucks sur la réalité augmentée. Il appelle "à remettre l'humain au centre des outils 4.0" notamment par le biais des outils collaboratifs à distance qui doivent tendre vers "une intelligence collective et émotionnelle". Ce qui ne l'empêche pas de mettre en avant les avantages des outils virtuels : "La maquette numérique permet cinq fois plus d'hypothèses de travail, quatre fois moins de prototypes physiques, des coûts de production abaissés de 25 à 40 % et des temps de productions divisés par trois !" Cerise sur le gâteau : "Le retour sur un investissement est inférieur à un an."

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