Vin de Bordeaux à moins de 1 € : les professionnels impuissants face à la grande distribution

Carrefour a proposé début mars à ses clients des bouteilles de Bordeaux à 0,96 € après crédit d’une réduction correspondant à 80 % du prix de départ sur leur carte de fidélité. L’affaire a provoqué un tollé chez les professionnels après cette opération qui a totalement échappé au négociant ayant traité avec l’enseigne. Mais ils ne peuvent que protester, rien n’étant illégal dans cette affaire.
Les professionnels craignent l'effet négatif de cette opération commerciale sur l'image des vins de Bordeaux.

Le magazine Rayon Boissons révélait début mars que Carrefour avait proposé une bouteille de bordeaux à moins de 1 € par le jeu d'une remise sur la carte de fidélité de ses clients. Ce bordeaux de la maison Bertrand Ravache affichait un prix de départ en rayon de 4,80 €, ce que les clients ont d'ailleurs effectivement payé en caisse, avant de recevoir un bon d'achat d'une valeur de 80 % du prix, ramenant la bouteille à un coût final de 0,96 centimes pour le consommateur. Pour les professionnels, une barre symbolique a été franchie, mettant à mal l'image des vins de Bordeaux et les efforts menés depuis le lancement du Plan Bordeaux Demain en 2010, destiné à faire monter en gamme les vins de Bordeaux et à se dégager du segment des vins dits "basiques" à moins de 3 €, prix considéré comme non vivable pour les professionnels et où Bordeaux estime ne pas avoir sa place. Parce qu'ils nuisent à l'image des vins de Bordeaux qui se positionnent comme étant qualitatifs et parce qu'il s'agit d'un segment sur lequel Bordeaux ne peut pas être compétitif.

"Le Plan Bordeaux Demain proposait 6 mesures pour '"susciter une préférence systématique pour les vins de Bordeaux", rappelle Jacques-Olivier Pesme, directeur de la Wine & Spirits Academy de Kedge Business School. Les 4 premières consistaient à redynamiser la marque Bordeaux, rendre l'offre plus lisible pour le consommateur, transformer l'offre basique, renforcer le niveau de qualité perçue. Avec cette histoire, on a exactement le mouvement contraire. C'est explicitement ce qu'il ne fallait pas faire."

"Nous condamnons totalement ce type d'opérations qui dégrade l'image des vins de Bordeaux, explique Yann Le Goaster, directeur de la Fédération des grands vins de Bordeaux. Nous investissons tous les ans des millions d'euros dans la communication, cela met à mal toutes ces démarches."

"C'est une action que l'on déplore, qui ne va pas dans le sens des acteurs de la filière et brouille l'image du prix du vin auprès des consommateurs, explique Stéphanie Sinoquet, responsable marketing France du CIVB, Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux. Nous ne sommes pas du tout en phase avec ce genre d'opérations. Carrefour le fait pour drainer du monde et d'ailleurs ils ont mené cette opération avec plusieurs grandes marques ; pour le vin c'était Bordeaux."

Dommage pour l'image

La Fédération des vignerons indépendants de Gironde, par la voix de son président Cédric Coubris, réagit plus vertement :

"Comment peut-on arriver à des vins à 0,96 € alors que l'on se bat pour monter en gamme, que l'on a refait nos cahiers des charges ? La matière sèche seule coûte plus cher qu'un euro : la bouteille, le bouchon, l'étiquette, la contre-étiquette, la mise en bouteille... Qu'est-ce qui nous garantit qu'on ne va pas se retrouver avec des bouteilles à moins de 1 € ? Est-ce qu'il faut que l'on augmente tous nos prix de 80 % ? C'est un non-respect du travail qualitatif que toute la filière met en place. Et quelle image cela donne de nous à l'export ? Tout se sait désormais avec Internet. On travaille depuis des années pour remettre les mauvais élèves sur le bon chemin et là on se fait pulvériser. Comment justifier un bordeaux à moins de 1 € ? Moi je n'y arrive pas. Pour moi, le négociant s'est fait avoir."

Ce qu'exprime également la Fédération des grands vins de Bordeaux, certaine que "le négociant n'a rien à se reprocher".

Condamnable mais légal

Contacté par La Tribune à plusieurs reprises, le groupe Carrefour n'a pas donné suite à notre demande d'interview concernant cette opération. Mais Bertrand Ravache, le négociant qui a vendu le vin qui a fait l'objet de cette campagne promotionnelle, en l'occurrence un Comte de Talem, l'assure : "En aucun cas nous n'étions au courant de ce prix final à moins de 1 €. Le distributeur a décidé de donner un bon d'achat, ce n'est pas une remise que nous avons accordée, c'est son choix. Bien sûr on aimerait que cela se passe autrement. Ils font cela régulièrement, cette fois ils ont choisi un bordeaux. Il est évident que c'est un déficit d'image mais comment contrôler cela ? C'est totalement légal, juridiquement on ne peut pas l'interdire", reconnaissant en même temps son impuissance à prévenir ce genre de démarche commerciale. Légalité confirmée par le CIVB et la Fédération des grands vins.

"Cette opération est totalement légale. C'est le mécanisme de cagnotage, lui aussi légal, qui est condamnable. Donc juridiquement on ne peut rien faire. C'est dommageable", insiste Yann Le Goaster.

"C'est fait sous couvert d'un système de ristourne et d'un argument de la grande distribution d'amélioration du pouvoir d'achat. Mais le signal envoyé n'est pas bon. C'est extrêmement agressif, et en plus sur du vin !, déplore Jacques-Olivier Pesme. Le regret, ce n'est pas tellement sur la qualité du produit, elle est supposée acceptable. Ce qui ne fait que rajouter au problème, d'ailleurs. Et en plus c'est une nouvelle qui se propage dans le monde du vin, et vis-à-vis des autres régions en particulier."

Le CIVB, qui reconnaît qu'il est difficile de mesurer les conséquences d'une telle opération limitée dans le temps, ne "souhaite pas envenimer la polémique". D'autant que ce genre d'opération reste très rare. Et que la grande distribution est un acteur incontournable : sur 630 millions de bouteilles écoulées en 2016, les grandes et moyennes surfaces représentaient 46 % des ventes, le hard discount 9 % et les autres circuits (hors domicile, restauration, cavistes, vente directe) 45 %.

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Commentaires 6
à écrit le 24/03/2017 à 17:39
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Je confirme les propos de Breton, bien entendu le négociant B.Ravache était au courant du prix de vente au consommateur, de grâce Mme Lanusse ne soyons pas dupes de ce genre de propos. C'est un habitué de ces pratiques de discounter, il ne sait faire...

à écrit le 24/03/2017 à 9:04
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Sans les supermarchés l'agro-industrie ne serait rien.

à écrit le 23/03/2017 à 18:23
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vous dites que le fournisseur est impuissant , qu'il n'a pas vu le coup venir .... NON , je vous rappelle que celui ci est un habitué , voir ces passages chez Pol Rémi puis chez GRM ....

à écrit le 23/03/2017 à 18:10
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Hormis l'image....ces négociants ont été payés non? C'est un peu comme le tailleur de F. FILLON qui lui a confectionné des costumes qu'un tiers a payé....là aussi l'image est un peu écornée mais au fond le tailleur à touché son argent, et le consomm...

à écrit le 23/03/2017 à 16:25
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Une victoire de la "grande" distribution contre la (prétendue) supériorité des vins de Bordeaux que l'on ne pourrait pas "solder". Les négociants se cachant pour écouler à petit prix des fins de stocks avant qu'ils ne tournent vinaigre. Il faut que l...

le 24/03/2017 à 11:12
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@la cigüe : votre propos est ultra violent, visiblement, vous parlez sans savoir. C'est dommage, d'autres en vous lisant pourraient penser que vous savez ce que vous dites, or, vous êtes totalement à côté de la plaque ! En vous lisant, on ne peux que...

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