Œnotourisme, Grande Maison : les stratégies du groupe Bernard Magrez

Longtemps à la traine, l’œnotourisme bordelais a-t-il rattrapé son retard ? Responsable des activités œnotouristiques du groupe de l'homme d'affaires bordelais Bernard Magrez, Cécile Magrez-Daquin analyse la situation. Dans cet entretien accordé à La Tribune, elle évoque également le départ de Joël Robuchon des commandes du restaurant La Grande Maison, qu’elle dirige, le nouveau départ pris avec Pierre Gagnaire, et les conséquences potentielles du Brexit sur la filière vin.
Cécile Magrez-Daquin, directrice générale de la Grande Maison et de la branche œnotourisme du groupe Bernard Magrez

Vous venez de lancer au château Pape Clément, Grand Cru classé de Graves à Pessac, un nouveau parcours œnotouristique, la Visite des cinq sens. De quoi s'agit-il ?

"C'est une proposition unique en France, initiatique et ludique, permettant de découvrir le vin autrement, dans le cadre unique du Château Pape Clément. Pendant deux heures, les visiteurs se laissent guider au cours d'un voyage sensoriel mettant à contribution les cinq sens : le toucher grâce à la découverte tactile des terroirs et des vignes, l'odorat permettant d'apprécier les arômes de chêne et les millésimes en création, le goût avec une dégustation à l'aveugle..."

Comment cette Visite des cinq sens s'inscrit-elle dans votre offre œnotouristique, réunie au sein de la filiale Bernard Magrez Luxury wine experience que vous dirigez ?

"Nous avons commencé l'œnotourisme en 2008, à une époque où nous étions peu nombreux sur cette activité dans le bordelais. Depuis, l'offre s'est considérablement diversifiée et il nous faut nous renouveler tout en continuant de respecter l'univers Bernard Magrez et ce qu'il représente. Cette Visite des cinq sens est parfaitement complémentaire de l'univers très numérique de la Cité du vin et apporte quelque chose de différent, les deux pieds dans la vigne.

Le groupe est un des pionniers de l'œnotourisme dans le bordelais. Comment ce segment de marché a-t-il évolué au fil des années ?

"Les attentes des visiteurs ont clairement évolué. L'époque où une démonstration d'égrenage à la main, la visite d'un joli chai et une rapide dégustation suffisaient, est terminée. De nombreuses propriétés, dans l'Entre-deux-mers par exemple, ont fait des efforts phénoménaux en matière d'œnotourisme. Les visiteurs viennent désormais pour apprendre, plus seulement pour goûter.
Le profil des amateurs a lui aussi évolué, il s'est nettement internationalisé, on voit des Espagnols notamment arriver alors qu'ils étaient très peu nombreux auparavant, le clientèle asiatique est très importante. A ce titre, on ne peut qu'applaudir l'ouverture de la Cité du vin qui va contribuer à renforcer l'attractivité de Bordeaux au plan mondial."

"Faire de nos visiteurs des influenceurs"

Bordeaux a-t-elle rattrapé son retard en matière d'œnotourisme, comparativement à d'autres territoires ?

"Ce n'est pas encore fait, mais elle est en voie de le rattraper. Il y a eu une véritable prise de conscience des producteurs ainsi que des institutionnels qui font un travail remarquable. Les professionnels ont aussi compris que, que l'on soit 3e, 2e ou 1er Grand cru classé, on ne casse pas le mythe en ouvrant ses portes au public. Il reste encore des efforts à faire, trop de propriétés sont fermées le week-end par exemple même si je comprends que c'est difficile quand vous habitez au domaine, mais nous sommes sur le bon chemin."

En quoi cette question est-elle stratégique pour Bordeaux, et pour le groupe Bernard Magrez ?

"Il faut absolument intéresser la génération des 25 / 35 ans qui ont appréhendé le vin en passant par d'autres zones de production, l'Espagne, l'Italie, la Napa Valley... pour le côté découverte à un prix raisonnable. Ce sont les acheteurs de demain, il faut donc les rattraper, notamment à travers des événements modernes. Quand nous organisons par exemple une soirée dégustation avec des food trucks, nous touchons tout de suite 120 personnes. Il y a une véritable soif de découverte de la part de ce public, à Bordeaux de réussir à l'intéresser grâce à l'œnotourisme.
Concernant le groupe Bernard Magrez, l'œnotourisme est une branche importante et même essentielle. Au-delà de l'intérêt économique qu'elle représente, nous considérons que toute personne qui franchit l'entrée de Pape Clément devient un influenceur, un ambassadeur. Le monde du vin est devenu un univers tellement complexe et foisonnant qu'avant, si on se fiait au vin de papa, maintenant on se réfère aux opinions des amis."

Toujours en matière d'œnotourisme, quels sont vos objectifs économiques ?

"Nous visons dans les deux ans qui viennent un taux de remplissage de 75 % sur l'ensemble de notre offre : hébergement, salles de réception, réceptif entreprises. Ce chiffre, nous l'atteignons dès aujourd'hui en saison mais pas encore hors-saison. Il faut travailler avec les bons tour-operators, les bons sites, et continuer à miser sur le bouche-à-oreille."

"Un nouveau départ pour la Grande Maison"

Craignez-vous les conséquences du Brexit pour la filière vin ?

"Pour l'instant c'est trop tôt, nous sommes dans l'expectative comme tout le monde. Tout dépendra des accords négociés par le Royaume-Uni. La seule chose certaine, c'est que les négociations vont être disputées !"

Le départ en avril dernier de Joël Robuchon de La Grande Maison, le restaurant gastronomique créé avec Bernard Magrez à Bordeaux un an plus tôt, en a surpris plus d'un. Le chef Pierre Gagnaire a pris sa suite. Quel bilan en tirez-vous et comment se passe ce nouveau démarrage?

"C'est une belle aventure qui redémarre avec une personne, une offre différente. Avec Joël Robuchon, nous atteignions le ticket moyen que nous envisagions mais sur un nombre de couverts insuffisant. Est-ce que décrocher trois étoiles au Michelin aurait suffi à résoudre l'équation économique ? Je n'en suis pas sûre. Bordeaux voit passer beaucoup de touristes étrangers, nous le voyons bien à la Grande Maison où les chambres sont majoritairement occupées par cette clientèle, mais le tissu économique n'est pas encore là. Joël Robuchon ne souhaitait pas remettre en cause sa formule qui marché à Tokyo, à Londres, à Monaco ou à Singapour. Mais Bordeaux n'est - encore - pas Tokyo ! Avec Pierre Gagnaire, un nouveau dialogue s'est tout de suite installé."

Quels sont vos autres objectifs ?

"Le groupe détient quatre grands crus classés en bordelais, nous cherchons à en acquérir un 5e mais encore faut-il trouver un vendeur ! Nous restons à l'aguet et nous surveillons aussi de près le monde des startups qui peuvent nous apporter de nouvelles opportunités, comme nous l'avons fait avec l'acquisition de B-winemaker."

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Bernard Magrez est le propriétaire d'une quarantaine de châteaux dans le monde. Il est le seul dans le bordelais à détenir quatre grands crus classés : Pape Clément, Fombrauge, La Tour Carnet, Clos Haut-Peyraguey.

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