Bornes pour véhicules électriques, vers un nouveau Minitel français ?

Par Pascal Rabiller  |   |  638  mots
Pour EVtronic, le choix de bornes de rechargement qui ne seraient pas universelles pour une charge rapide, pourrait se révéler fortement pénalisant pour le développement économique de la filière
Dirigeant de la société girondine EVtronic (siège à Pessac), spécialisée dans la production de solutions de charge pour véhicules électriques, Eric Stempin tire le signal d’alarme. Pour lui, les matériels retenus dans certains appels d’offres en matière d’équipement en borne de rechargement pourraient bien ressembler à une erreur stratégique pour le déploiement massif des véhicules électriques en France.

Initiée sur le papier, en 2005, à partir d'une idée de recharge rapide de véhicules électriques, l'aventure de la société EVtronic a véritablement commencé en 2007 avec la création d'une borne de 35kW, capable de recharger en 30 minutes tous les véhicules de première génération. Dès lors, EVtronic n'a eu de cesse d'innover dans ce domaine. Une stratégie qui lui a permis de prendre des positions sur ce marché concurrentiel et de franchir une étape importante en 2014 avec le doublement, pour répondre aux commandes, de sa capacité de production avec la création d'une usine de 800 m2 située à Pessac.

Une étape seulement dans la vie industrielle d'EVtronic car, au gré des contrats d'équipement signés, comme le corridor portant sur 54 bornes dans la vallée du Rhône pour le compte de la Compagnie nationale du Rhône, l'usine actuelle, qui emploie 30 personnes, techniciens et ingénieurs, va nécessiter un agrandissement et s'installer sur un site neuf et dimensionné pour permettre les développements des chargeurs de demain.

Bornes idéales... pour à peine plus de 50 % des utilisateurs de véhicules électriques ?

A priori, Eric Stempin, créateur et dirigeant d'EVtronic, n'a pas de raison d'être sous tension quand il s'agit d'évoquer l'avenir de sa société. S'il s'inquiète néanmoins, c'est pour l'ensemble de la filière véhicule électrique.

"EVtronic se porte bien mais je suis dubitatif quand je vois les choix répétés à travers les appels d'offres en cours, et ceux à venir, en matière d'installations de bornes de recharge qui n'offrent pas les mêmes services à tous les utilisateurs de véhicules électriques."

Dans son viseur : des bornes 22 kW AC certes moins onéreuses que les siennes, mais qui ont le fâcheux désavantage de ne recharger qu'en 1 heure à peine plus de la moitié des véhicules électriques circulant sur nos routes, et d'offrir une charge en 4 à 8 heures pour les autres utilisateurs de véhicules électriques.

Menaces de court-circuit du marché des voitures électriques

En clair, la Renault Zoe peut se recharger de manière accélérée sur une borne 22 kW AC... mais elle est quasiment la seule du marché pourtant ultra dominé, à ce jour, et partout  dans le monde, par la Nissan Leaf.

"Avec ces bornes en effet, les véhicules des autres marques que Renault n'ont pas accès à la recharge en 1 heure, les autres doivent attendre au moins 3 heures avant d'atteindre une charge correcte... même pas forcément le plein. Cette stratégie d'installation de bornes 22 kW en courant alternatif uniquement pourrait mettre un coup de frein sérieux au déploiement attendu du marché des véhicules électriques, elle pourrait aussi marginaliser la France sur le plan des bornes de recharge par rapport aux autres pays développés. Nous sommes peut-être, avec ces bornes 22 kW en courant alternatif, en train de nous tromper de technologie. De la même manière que la France a déployé sa propre technologie du Minitel, faisant un choix que le reste du monde a préféré ignorer et ratant, de fait, le coche du déploiement d'Internet ; nous sommes en train de faire le choix d'une technologie qui rend compliqué le modèle économique de la recharge de véhicule. Qui a envie de payer une recharge si elle immobilise son véhicule pendant 4 à 6 heures ? Donc, je dis gare à l'effet Minitel dans le modèle économique de la recharge."

Outre le décalage technologique et donc commercial qui pourrait subvenir avec le déploiement de bornes adaptées, pour la recharge rapide, à un pourcentage modeste de véhicules électriques, la question même du gaspillage d'argent public pour des bornes inadaptées, pourrait aussi se poser à terme. Gare aux courts-circuits.