Une économie collaborative à fort potentiel mais pas sans risques

La table ronde consacrée aux Idées citoyennes, dernier des 4 "i" de la 5e édition du Sommet économique du Grand Sud, organisée mardi au Palais de la Bourse à Bordeaux par La Tribune - Objectif Aquitaine, a permis de prendre la température d'un vrai phénomène.
Léa Thomassin, Marie-Gabrielle Favé, Fabienne Chol, Nicolas Cargou, Adrien Aumont

Intitulée "Consommation collaborative, entreprises responsables... Derrière l'envie, de vrais modèles économiques ?", cette table ronde a permis de confronter les points de vue d'acteurs du mouvement collaboratif avec des analyses plus distanciées. Elle réunissait cinq intervenants : Adrien Aumont, cofondateur, avec Ombline Le Lasseur et Vincent Ricordeau, de la plateforme de financement participatif (crowdfunding) Kisskissbankbank ; Nicolas Cargou, cofondateur, avec Laurent Calando, de la plateforme de location de bateaux entre particuliers Samboat ; Fabienne Chol, directrice générale de l'Institut national de la consommation (INC), Marie-Gabrielle Favé, membre active de Ouishare et Léa Thomassin, cofondatrice, avec Ismaël Le Mouël, d'HelloAsso, première plateforme de financement participatif dédiée aux associations.

Trois plateformes

Dans le modèle codéveloppé par Adrien Aumont, les créateurs désireux de financer un projet lancent un appel de fonds auprès des "Kissbankers" et définissent la contrepartie qui sera apportée si le financement du projet abouti.

"Kisskissbankbank a été créée il y a cinq ans et demi et a collecté 35 M€, dont 14 M€ en 2014, ce qui fait de nous les leaders européens du financement participatif dédié à la créativité et à l'innovation. Notre originalité est de fonctionner sur le modèle du don", précise Adrien Aumont.

Non content de ça, l'équipe de Kisskissbankbank a lancé deux autres plateformes de financement participatif : HelloMerci, ciblée sur l'artisanat, le commerce et l'agriculture, avec une approche plus communautaire ("Empruntez à des gens qui vous veulent du bien") et Lendopolis, qui vise à satisfaire le financement des TPE et des PME.

"Nous aurons bientôt collecté 1 M€ avec HelloMerci. Quant à Lendopolis, il s'agit de financer l'entreprise dont vous êtes le héros, avec des taux de 5 % à 12 % sur des durées de deux à cinq ans. Nous sommes la seule entreprise de crowdfunding à avoir trois plateformes", a souligné Adrien Aumont.

Embrouilles à Arcachon

Le financement participatif, qui donne une nouvelle jeunesse à l'appel public à l'épargne, s'applique aussi aux associations. C'est l'objet d'HelloAsso, qui cible le monde associatif. "Nous ne prélevons pas de pourcentage sur les transactions, nous recevons uniquement des pourboires, selon le désir des utilisateurs", relève Léa Thomassin, qui précise qu'HelloAsso a collecté 11 M€ auprès de 6.000 associations. Beaucoup plus jeune, la plateforme Samboat est présente dans la plupart des ports de plaisance en France.

"Les bateaux sont utilisés en moyenne moins de dix jours par an par leurs propriétaires, alors qu'ils génèrent des dépenses importantes. D'où l'idée de les rentabiliser, explique Nicolas Cargou. Jusque-là le monde de la plaisance tolérait la location entre particuliers. Mais dans le port d'Arcachon, poursuit-il, nous devons faire face à un lobby de loueurs professionnels qui a écrit à nos utilisateurs pour leur dire qu'ils risquaient de perdre leur place au port s'ils avaient recours à nos services. C'est un abus de pouvoir, estime-t-il, et Arcachon est le seul port où nous avons ce problème en France. Nous poursuivons notre activité, car la location à la journée est autorisée : c'est la sous-location de place dans un port qui est interdite."

Pouvoir s'y retrouver

Directrice générale de l'Institut national de la consommation (INC), Fabienne Chol s'est livrée à une analyse approfondie de l'économie collaborative, qui montre que le droit n'est pas encore au niveau d'un phénomène social devenu massif.

"Oui, c'est une tendance de fond. Pour le consommateur ce n'est pas facile car il ne sait pas où il en est sur le plan du droit, qui est à la remorque : aucun texte ne traite de l'économie collaborative. Par exemple, entre particuliers il ne peut y avoir de prêts, donc le code du commerce ne s'applique pas. Mais quand il s'agit d'hébergement payant et du monde hôtelier, le code civil s'applique. Il faut que le consommateur connaisse ses droits et ses devoirs", a expliqué Fabienne Chol.

Ce flou juridique ne découle pas d'une inexplicable lenteur du législateur ou d'une déconnexion intégrale des élus avec la réalité.

Pas de définition

L'économie collaborative ne se nourrit pas que de symboles, elle constitue un nouveau paradigme émergent qui remet en cause la topographie juridictionnelle classique.

"Il n'y a pas de définition unique de l'économie collaborative. Cette dernière passe par les plateformes en ligne mais aussi par un renversement des perspectives, puisque dans cette sphère l'usage prend le pas sur la possession. L'avènement d'Internet permet aux acteurs d'avoir un plus grand nombre de contacts pour répondre aux besoins", analyse Marie-Gabrielle Favé, membre d'Ouishare, collectif qui veut fédérer le mouvement de l'économie collaborative en particulier via l'organisation d'événements de sensibilisation et de soutien aux entrepreneurs.

"Il y a plein de business model en train d'émerger et ça concerne aussi les acteurs traditionnels, qu'il s'agisse des taxis face à Uber ou maintenant de la SNCF, qui voit le covoiturage se développer et qui a décidé d'intégrer ce service. La SNCF va devenir un agrégateur de mobilités" a complété Marie-Gabrielle Favé.

Un système dévoyé ?

Le nouveau modèle collaboratif, qui est en train de modifier la donne des rapports socio-économiques, n'est pas le fruit d'une création spontanée. En partant de cette réalité, Fabienne Chol, qui est aussi une juriste aguerrie, dresse un portrait sans concession de ce mouvement émergeant.

"C'est tout un mouvement global qui prend forme. Comment faire du point de vue légal ? C'est un vrai casse-tête pour le législateur car le système collaboratif a été dévoyé. Les principaux loueurs d'Airbnb possèdent plus de 400 logements et tirent partie de cet engouement en louant plus cher. Il faut réguler ce marché émergent et il est normal que les hôteliers voient d'un mauvais œil des pseudos particuliers qui leur enlèvent 70 chambres d'un coup", assène ainsi Fabienne Chol.

Le cofondateur de Kisskissbankbank estime de son côté que les législateurs ne sont pas assez agiles, qu'ils doivent légiférer plus vite et corriger après coup en cas de nécessité...

Pas de miracle en ligne

Revenant sur l'apport des plateformes en ligne, Léa Thomassin a tenu à remettre les pendules à l'heure.

"Les financements ne tombent pas du ciel parce que votre projet est présenté sur une plateforme. Il est vital de mobiliser sa communauté. Nous avons par exemple soutenu l'achat par la Banque alimentaire de Bordeaux et de la Gironde d'un camion frigo. Ils recherchaient 50.000 € mais ils n'avaient que 100 contacts mails. On leur a dit, votre collecte sera complémentaire, vous ne pourrez pas collecter cette somme. Ils ont réussi à lever 20.000 € et ont bouclé le financement avec un tour de table" détaille la cofondatrice d'HelloAsso.

Quelles que soient les attentes de chacun, Marie-Gabrielle Favé a conseillé d'aller sur une plateforme collaborative. "Allez-y, c'est une vraie expérience : on peut vraiment y trouver autre chose que ce que l'on croyait chercher", a-t-elle résumé, donnant ainsi une définition conforme à l'esprit d'aventure.

Un vrai risque systémique

Défenseure du droit des consommateurs, Fabienne Chol a toutefois déclenché une nouvelle alerte concernant un risque majeur encouru par ces derniers.

"Il s'agit de la gestion des données personnelles et de ce qu'en font les acteurs de cette économie collaborative. Le pire serait qu'un mauvais usage des données personnelles des consommateurs se développe, et fasse boule de neige. Que des consommateurs se fassent voler de l'argent sur leur compte en banque ou soient l'objet de démarchages commerciaux très ciblés. Ce type de problème pourrait atteindre la confiance qu'ont les consommateurs dans l'économie collaborative" a prévenu Fabienne Chol.

Une autre façon de dire que les acteurs de l'économie collaborative ne sont pas à l'abri d'une crise systémique dévastatrice, si personne n'y prend garde et que, dans ce contexte, la réglementation sur l'utilisation des données personnelles joue un rôle crucial.

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