Maïsadour et Euralis : l'impossible fusion de leurs activités canard et foie gras ?

Le projet de fusion des pôles gastronomie des groupes Euralis et Maïsadour, et en particulier celle de leurs activités canard et foie gras, fait l'objet depuis des mois d'un examen approfondi de la part de l'Autorité de la concurrence. Celle-ci craint que ce rapprochement, qui concerne près de 2.000 salariés n'aboutisse à un monopole menaçant le fonctionnement du marché des palmipèdes (canards et oies) gras. De leur côté, les deux groupes néo-aquitains essaient de sauver les meubles dans un contexte très dégradé marqué par de dévastatrices épidémies de grippe aviaire. Mais pour le moment l'ADLC semble plus rétive que réceptive à leurs arguments.
Le siège d'Euralis à Pau.
Le siège d'Euralis à Pau. (Crédits : D.R)

La demande de fusion des activités palmipèdes (canards et oies) gras d'Euralis, à Pau (Pyrénées-Atlantiques, et Maïsadour, à Haut-Mauco (Landes), au cœur de leurs pôles gastronomie respectifs, doit permettre aux deux groupes coopératifs de faire face aux effets dévastateurs de plusieurs attaques de grippe aviaire et de la pandémie de Covid. Ce projet vise à rassembler ces activités au sein de MVVH (Maïsadour-Vivadour-Val de Sèvre), la holding de Maïsadour qui deviendrait une co-entreprise. Mais il semble mal engagé puisqu'il subit un examen de passage prolongé auprès de l'Autorité de la concurrence (ADLC).

Paraphé en décembre 2021 par les deux futurs partenaires, ce projet de fusion a été transmis le 2 mai 2022 à l'ADLC qui a refusé de lui donner son feu vert en première lecture. Motif : le risque de voir ce rapprochement entrainer la création d'une situation monopolistique dans la filière des viandes et foies de palmipèdes gras.

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C'est ainsi que le 14 décembre dernier l'Autorité de la concurrence a confirmé son appréciation pour le moins mitigée du dossier en déclenchant une enquête approfondie ou « phase 2 » sur le sujet. Une procédure que l'on aurait pu croire accélérée étant donné la menace monopolistique mise en avant. Mais la phase 2 n'est pas une broyeuse à papier. La preuve : l'examen approfondi de la proposition d'Euralis et Maïsadour se poursuivait encore ce 11 mai 2023.

Instruction du dossier : un arrêt des horloges

« Le calcul à faire est simple. Une instruction en phase 2 dure 65 jours et la décision est tombée le 14 décembre dernier. Vous voyez que les délais ont été épuisés. Pourtant aucune décision n'a encore été rendue. C'est parce qu'il y a eu un arrêt des horloges ! De nouveaux documents ont été demandés... Et de nouveaux documents ont été produits. Ce n'est plus une affaire de mois car l'instruction ne durera pas un an, mais de semaines », a-t-il été précisé fin avril par l'ADLC à La Tribune.

Avec plus de 50 % dans la plupart des secteurs de marché entrant en ligne de compte : approvisionnement en animaux vivants, abattage, transformation, distribution... cette fusion inquiète. De leur côté les directions des deux groupes observent une retenue toute diplomatique :

« Depuis le printemps 2022, l'ADLC examine le projet de rapprochement de nos activités de production industrielle, transformation et commercialisation des produits de nos filières canard à foie gras, et boutiques de vente directe avec celles d'Euralis. En décembre, l'ADLC nous a indiqué qu'elle souhaitait approfondir son examen : c'est une procédure normale, appelée « phase 2 » pour ce type de projet. Pour rappel, son autorisation par l'ADLC en est une condition impérative. À ce jour, nous n'avons pas de visibilité sur la date à laquelle l'ADLC nous fera part de sa décision », commente-t-on à Maïsadour.

Une réponse officielle presque identique au mot près à celle faite également à La Tribune par la direction du groupe Euralis. Aucun des deux présidents, Christophe Congues (Euralis) et Daniel Peyraube (Maïsadour), n'a souhaité répondre à nos questions.

Le foie gras pris dans une tendance baissière

Si les deux groupes coopératifs ont des assises solides, avec un chiffre d'affaires de 1,6 milliard d'euros en 2022 pour Euralis (5.200 salariés) et de 1,4 milliard d'euros pour Maïsadour (4.300 salariés), les deux entités étant respectivement détenues par 5.800 et 5.000 agriculteurs, leurs activités palmipèdes gras et foie gras ont sérieusement souffert. D'autant qu'aux épidémies de grippe aviaire à répétition s'est rajoutée la pandémie de Covid, qui a entrainé la fermeture des restaurants. Avec un climat général alourdi par la dénonciation des conditions d'élevage de volailles par les associations de défense des animaux, comme L214. Sans compter la première interdiction prise au monde de consommer du foie gras prononcée en 2004 par l'Etat de Californie, validée par la Cour suprême en 2019. Suivie, pour faire bon poids, par la décision du maire de Lyon (décembre 2021) d'exclure le foie gras des buffets officiels de la mairie.

Depuis 2022 la ville de New York interdit la vente et la détention de foie gras. Et désormais 13 pays européen interdisent le gavage, à commencer par l'Allemagne. Alors que de grands consommateurs traditionnels, comme l'Espagne, la Belgique, la Suisse et le Japon ont dû lever le pied pour cause d'épizooties sur fond de pénurie. Les virus ont effectivement continué à décimer le cheptel (-25 % en cinq ans). Avec une forte aggravation au cours des hivers 2021 et 2022, où le cheptel de canards à foie gras abattu (pour la production de viande et de foie gras) a atteint les 16,5 millions de têtes, contre 37,1 millions en 2015 (soit une chute de -46,7%). Représentant 56 % de la production nationale de foie gras, la Nouvelle-Aquitaine a été touchée de plein fouet par les épizooties. Avec au final un appareil de transformation qui est soudain devenu surdimensionné, alors même que la production était en recul.

Les deux groupes n'arrivent pas à convaincre

Avec le projet porté par Euralis et Maïsadour, MVVH changerait de statut pour devenir la filiale commune aux deux groupes. Avec un format où cette nouvelle filiale combinerait les activités d'Euralis gastronomie avec celles de Delpeyrat, le pôle gastronomie de Maïsadour, en palmipèdes gras (magrets, foie gras, etc.), saurisserie (fumage des saumons et des truites), et distribution de produits alimentaires au détail, via ses filiales Delpeyrat et Comtesse du Barry. Schématiquement, au terme d'une opération capitalistique un peu complexe, le capital de MVVH serait contrôlé à 40 % par Euralis, à 50 % par Maïsadour, tandis que les 10 % restants passeraient sous le contrôle de deux partenaires financiers dont les identités n'ont pas été dévoilées par l'Autorité de la concurrence.

Un montage juridique et financier qui se trouve au cœur de l'argumentaire des deux groupes, qui ont fait valoir, jusqu'ici sans succès, qu'étant chacun minoritaire au sein de MVVH, ils ne pourraient pas mener de stratégie commerciale concertée et fonctionner comme une structure monopolistique. Plaidoyer qui a bien du mal à convaincre.

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 Comment l'ADLC démonte l'argumentaire pro-fusion

« Les parties soutiennent que dans la mesure où aucun actionnaire ne disposera de la capacité seul d'adopter ou de bloquer les décisions relatives au budget annuel et à la nomination des dirigeants, l'entreprise commune ne sera pas contrôlée », reprend tout d'abord l'ADLC dans son analyse du 14 décembre, qui a conduit le projet de fusion en phase 2.

Avant d'entrer plus en détails dans une batterie d'arguments, déployés comme autant d'attendus juridiques en vingt-six points.

« Toutefois, il ressort de la pratique décisionnelle de la Commission européenne que des actionnaires minoritaires peuvent prendre le contrôle en commun d'une société lorsqu'ils possèdent ensemble la majorité des droits de vote et se concertent pour les exercer. En l'absence d'un accord juridique contraignant, une telle action collective peut être démontrée à titre exceptionnel "sur la base des circonstances de fait lorsque les intérêts communs qui unissent les actionnaires minoritaires sont si puissants qu'ils ne vont pas s'opposer les uns aux autres dans l'exercice de leurs droits dans l'entreprise commune" ».

 « Les parties sont unies par de puissants intérêts »

L'Autorité de la concurrence enfonce ensuite de façon circonstanciée un peu plus profondément ses arguments critiques dans cette demande de fusion :

« En l'espèce, plusieurs circonstances de fait démontrent, conjointement, que les parties sont unies par de puissants intérêts communs, qui les conduiront à ne pas s'opposer l'une à l'autre dans l'exercice de leurs droits ».

Des résultats sous pressions dans les deux groupes

Euralis a logé toutes ses entreprises dédiées à la viande et aux foies de palmipèdes gras, dont Rougié, dans sa filiale Euralis gastronomie, qui emploie plus de 1.000 salariés et dont le chiffre d'affaires consolidé (données Infogreffe) est passé de 274 millions d'euros en 2020 à 271 millions d'euros en 2021 (les données 2022 n'ayant pas été rendues publiques). Dans le même temps Euralis gastronomie a réduit ses pertes, passées de -19 à -7 millions d'euros. Delpeyrat, vaisseau amiral de l'activité gastronomie de Maïsadour (avec en plus des palmipèdes gras les truites et saumons fumés/ près de 900 salariés) a vu son chiffre d'affaires passer de 306 millions d'euros en 2020 à 235 millions d'euros en 2022 (-23,6 %). Dans le même temps son résultat net s'améliore sensiblement, passant de -34 millions d'euros en 2020, à -17 millions d'euros en 2021 et -2,6 millions d'euros en 2022.

L'Autorité de la concurrence juge ensuite que la nouvelle filiale commune aux deux groupes fonctionnera bien comme telle.

« Au regard de ces éléments, les groupes Euralis et Maïsadour détiendront, à l'issue de l'opération envisagée, le contrôle conjoint de l'entreprise commune au sens du droit des concentrations. Par ailleurs, l'entreprise commune exercera, via ses filiales, les activités de canard gras, saurisserie et distribution au détail de produits à dominante alimentaire apportées par les parties lors de l'opération. Elle fonctionnera donc de manière durable et accomplira toutes les fonctions d'une entité économique autonome », tranche l'ADLC.

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Des chiffres qui sèment le doute

Ce point est au centre du réquisitoire de l'ADLC pour condamner cette fusion. Tant sur l'augmentation des capacités de collectes d'animaux vivants (canards, oies), via les élevages présents à proximité, que des possibilités d'abattage, de distribution et de commercialisation des produits, que ce soit via la GMS (grandes et moyennes surfaces), la RHF (restauration hors foyer), puis les marques distributeurs (MDD) ou fabricants (MDF).

« L'entreprise commune détiendra des parts de marché en volume élevées dans toutes les zones de collecte autour de ses abattoirs, comprises entre [40-50] % et [60-70] % selon les segmentations envisagées et les abattoirs considérés. En outre, la part de marché de l'entreprise commune sera significativement supérieure à 50 % en volume sur de nombreux marchés en aval affectés par l'opération, relatifs à la GMS (foies gras de canard cuits ou mi-cuits entiers, notamment sous MDD...)», observe en substance l'ADLC.

Une Autorité de la concurrence qui poursuit néanmoins ses investigations et dont personne ne peut prévoir encore quelle sera la décision. Dans l'attente de cette dernière, la tension semble énorme et n'épargne pas les syndicalistes contactés par La Tribune. Très peu ont accepté de répondre, y compris à la CGT. Près de 2.000 salariés sont concernés mais sans le feu vert de l'ADLC aucun plan de fusion ne sera possible et personne ne prétend avoir d'information à ce sujet. Comme le souligne cette salariée CGT de Delpeyrat  « de toute façon avec ce qu'a perdu notre société, il va falloir trouver une solution, faire quelque chose ». D'autres syndicalistes joints, dans des groupes concurrents d'Euralis et Maïsadour, semblent pétrifiés par la possibilité que l'ADLC puisse finir par donner son feu vert à la fusion.

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