Viticulture  : quelles innovations pour demain  ?

Alors que les récentes mesures prises par les pouvoirs publics et viticulteurs (zones de non-traitement, concertations publiques, certifications...) peinent à convaincre les plus réticents aux pesticides, la filière vin veut un futur moins incertain. En quête d'innovations, les chercheurs planchent à court et moyen terme, sans proposer de solution miracle mais en étudiant plusieurs pistes.
Maxime Giraudeau
Dix ans. C'est la marge réduite affichée par la viticulture pour engager sa réinvention et faire la course à l'innovation pour assurer sa perenité.

Si on pense innovation dans la viticulture, on voudrait d'emblée une réponse à la question : peut-on se passer de pesticides ? Pour Sylvie Nony, militante écologiste de l'association Alerte pesticides Haute Gironde : "C'est une obligation. Tout le reste, ce sont des éléments de langage !" Du côté des professionnels, la réponse est tout aussi catégorique, à savoir : sans pesticides, pas de récolte. Mais la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires déjà amorcée promet de se poursuivre. Une nécessité d'autant plus impérative que l'Anses [Agence nationale de sécurité sanitaire, alimentation, environnement, travail] vient de publier une étude sur la pollution de l'air par les pesticides. Le rapport, réalisé à partir de données collectées entre juin 2018 et juin 2019, montre la présence dans l'air de 75 substances utilisées en agriculture, quand une investigation approfondie est demandée pour 32 d'entre elles. La grande inquiétude est, à l'image du lindane interdit en 1998, la concentration de substances bannies de l'agriculture depuis plusieurs années déjà.

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Dans la transition promise par la filière viticole, il y a tout d'abord l'irruption des produits de biocontrôle, définis ainsi par le ministère de l'Agriculture : "un ensemble de méthodes de protection des végétaux basé sur l'utilisation de mécanismes naturels. Seules ou associées à d'autres moyens de protection des plantes, ces techniques sont fondées sur les mécanismes et interactions qui régissent les relations entre espèces dans le milieu naturel." On y retrouve ainsi des préparations artisanales telles que le purin d'ortie et aussi l'introduction d'insectes ou macro-organismes régulateurs des nuisibles. Et en fin de liste, des substances d'origine animales ou végétales, avec une présence qui interroge, celle de l'acide pélargonique, classé comme herbicide. Surprenant, alors que 50 % du vignoble cognaçais s'est par exemple engagé à interdire les herbicides d'ici 2025. Toutefois, le biocontrôle est encore avant-gardiste et ne concerne qu'une faible minorité de vignerons.

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7,5 % de vignes bio en Nouvelle-Aquitaine

"Pour supprimer les herbicides, il y a encore des difficultés en termes de coûts, d'intégration des nouvelles pratiques. Porter des projets collectifs aide beaucoup les agriculteurs dans cette démarche", note Laurent Delière, directeur de l'unité expérimentale Vigne et Vin Bordeaux Grande Ferrade à l'Inrae Bordeaux (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement). Avec, par exemple, un robot développé par Naïo Technologies, capable de travailler la terre entre les rangs de vigne. "Nous avons une carence en main d'œuvre donc le recours à la robotique est essentiel", affirme Florent Morillon, directeur amont chez Henessy.

"En terme d'efficacité et de coûts, les produits de biocontrôle ne peuvent pas être utilisés de la même façon que les produits chimiques. Il faut les utiliser dans certaines conditions, et parfois en les associant avec des produits chimiques", nuance Laurent Delière.

Autrement dit, il n'est pas possible de ne pratiquer qu'une méthode totalement respectueuse de l'environnement, même si la filière tend à limiter son impact. Car même le vignoble biologique, qui bannit entièrement l'usage des herbicides et pesticides, engendre une dégradation des sols. Les pulvérisations répétées en sulfate de cuivre, principal composant utilisé en bio, se retrouvent dans les sols et dans l'eau. "Le bio engage plus de traitements donc je ne sais pas si c'est pertinent d'effectuer plus de pulvérisations. Pour moi ce n'est pas la solution ultime", évoque Laurent Delière. Il constitue néanmoins une piste intéressante parmi d'autres, quand 7,5 % des vignes de Nouvelle-Aquitaine sont cultivées en bio.

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Légumineuses et plantes aromatiques

Et pourquoi pas, plutôt que de combattre le problème en aval, le régler en amont ? C'est l'idée étudiée par des chercheurs de l'Inrae qui travaillent sur des croisements entre espèces de vignes. "Les variétés de vigne en France, les vitis vinifera, sont toutes sensibles au mildiou et à l'oïdium. En revanche, certaines espèces sauvages sont naturellement résistantes, en Amérique par exemple, donc il est possible par croisement d'obtenir des souches résistantes", présente le chercheur Laurent Delière. Réunir la qualité française et la résistance sud-américaine pour obtenir une nouvelle variété polygénique et bien moins soumise à certains traitements, telle est l'équation proposée. Pour l'heure, elle est impossible à mettre en œuvre, du fait des lois et des réglementations très contraignantes pour les viticulteurs. L'Inrae projette sa piste sur le long terme.

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La bonne surprise pourrait venir de l'association de cultures complémentaires, reprenant les principes de la désormais populaire permaculture. En insérant des cultures de légumineuses, forestières ou aromatiques entre les rangs de vignes, les végétaux réalisent un échange de bons procédés. "Les associations de culture permettent par exemple la protection du feuillage de la vigne. La présence de cultures dans les rangs empêche aussi le passage des pulvérisateurs. Il faut aussi distinguer cette association qui est faite pour bénéficier à la vigne, et celle faite pour tirer un revenu des deux cultures. Ce dernier modèle est encore limité", pointe Laurent Delière. C'est en tout cas une façon pour la viticulture de renouveler le dialogue avec ses confrères agriculteurs et aussi avec les citoyens. Personne n'ose pour l'heure brandir la solution miracle, mais la viticulture avance désormais à marche forcée.

Maxime Giraudeau

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