Vins de Bordeaux : drive et vente en ligne, les nouveaux leviers du marché (4/5)

Bouteilles à emporter en drive et vente en ligne sont les nouvelles mamelles du marché des bordeaux au temps du coronavirus. Tous les segments de marché sont concernés y compris celui du très haut de gamme, comme en témoigne Millésima. Un caviste bordelais hors norme dont l'activité grimpe depuis mars. Un phénomène encore marginal à prendre en compte, même si la filière viticole parle désormais de distillation de crise et de stockage.
Vendanges 2019- Château Baron Philippe de Rothschild/archive
Vendanges 2019- Château Baron Philippe de Rothschild/archive (Crédits : Agence Appa/Thibaud Moritz)

"Avec le confinement, il n'y pas plus ni mariages, ni baptêmes, ni anniversaires... et les champagne ne sont pas à la fête : c'est l'effondrement", cadre Jérôme Plantey, dirigeant de Cashvin, qu'il a fondé en 1994. Située à Artigues-près-Bordeaux, dans la banlieue bordelaise, cette grande cave associe de près ses vendeurs aux choix des vins qu'ils vont acheter chez les propriétaires, en lien étroit avec les clients. Cashvin détient aujourd'hui une douzaine de points de vente, de Bordeaux à Toulouse en passant par La Rochelle, Bayonne et Pau, avec un pied en Provence, à Fréjus.

L'enseigne a généré près de 29 M€ de chiffre d'affaires en 2019. Créée à l'origine pour valoriser des stocks de vin en mal de clients, cette enseigne opère aussi dans la bière et les spiritueux, issus de France et de l'étranger. Elle occupe un poste d'observation idéal sur l'évolution du marché.

"Au début du confinement le choc a été violent. Nous avons arrêté l'activité de 100 % de nos sites pendant quinze jours. Plus personne ne bougeait. Nous en avons donc profité pour réorganiser notre système de vente afin de sécuriser l'acte d'achat. Car il était important de ne pas couper les liens de notre force de vente avec la clientèle", rembobine Jérôme Plantey.

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Cashvin privilégie le conseil et joue la sécurité

Même si ses points de vente -dont la surface moyenne oscille de 500 à 800 m2- sont en périphérie, le fondateur de Cashvin ne s'est pas lancé dans la création de drives, mais plutôt de super caves afin de soigner le conseil aux clients. Sur la cinquantaine de salariés de l'entreprise, près de 30 % ont été maintenus dans les différents sites, les autres se répartissant entre chômage partiel, récupérations et congés, et télétravail. La formule mise en place par Jérôme Plantey pour s'adapter au confinement combine le traditionnel conseil du caviste à la logique du drive.

"Nous avons lancé le « call and collect ». Le client téléphone à un de nos vendeurs qui va lui donner le meilleur conseil en fonction de ce qu'il recherche. Il nous indique en général le budget dont il dispose et pour quelle occasion il achète ce vin. A la suite de quoi nous pouvons lui préparer une caisse de six bouteilles. Quand le client arrive au magasin, il nous rappelle et nous chargeons la voiture", décrit le patron de l'enseigne.

Inutile de souligner que l'activité d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était avant le confinement et quelle sert surtout à ne pas couper les ponts avec le marché. Avec le coronavirus, le maintien d'une distanciation physique optimale et le respect des gestes barrières éloignent les gens les uns des autres, ce qui dope le développement des formules à emporter.

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La vente en ligne contre la crise sanitaire

Même Dominique Techer, porte-parole de la Confédération paysanne et cogérant du château Gombaude-Guillot, qui produit en bio en Pomerol, y pense pour faire face à la chute des ventes.

"Les ventes chutent et les prix s'effondrent. Avec la fermeture de nombreux cavistes, la grande distribution a vu son activité boostée par les ventes de vin. Aussi nous avons décidé de créer un site marchand. Le problème après, c'est le bon fonctionnement des transports routiers", juge Dominique Techer.

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Pendant ce temps, et depuis plusieurs mois déjà, les stocks de vin s'accumulent et menacent désormais de déborder des cuves. D'où un appel de plus en plus pressant à l'option de distiller massivement pour sortir de l'impasse. Une préoccupation de la filière désormais relayée par les politiques. C'est ainsi que le sénateur girondin Hervé Gillé vient de faire une proposition limpide au gouvernement.

"La filière estime aujourd'hui qu'il faudrait envoyer à la distillation au moins trois millions d'hectolitres de vin de tous les segments et à un prix garanti de 80€/hectolitre... afin de maintenir le marché et permettre son rebond au sortir de la crise", expose le sénateur.

Ce dernier demande ensuite des éclaircissements sur le fonds de compensation demandé par la profession viticole pour amortir le choc des sanctions américaines prises contre les viticulteurs français dans le cadre du bras de fer avec Airbus. Mais aussi des précisions notamment sur les instruments réglementaires qui doivent permettre de soutenir la profession "au niveau national et européen, telles que l'aide au stockage et l'accompagnement fiscal et social de ces entreprises, pour permettre à la filière de traverser la crise... ".

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Autant de questions qui reviendrons sur la table avant longtemps. Si les ventes de vin sont à deux doigts du point mort absolu, certains opérateurs commencent à tirer leur épingle du jeu, en particulier dans le très haut de gamme. Ce qui est le cas de Millésima. Ce caviste géant, dont les locaux monumentaux évoquent le film Les Aventuriers de l'Arche Perdue, avec Indiana Jones, où l'Arche d'Alliance se retrouve en fin de compte emballée dans une caisse en bois perdue dans une gigantesque réserve, a subi un choc violent avec le confinement, avant de rebondir.

La bouteille de rosé passée de 44 à 32 € en moyenne

"Jusqu'au 9 mars 2020 nous étions portés par une tendance à la hausse de +17 % sur l'année. Et puis la crise du coronavirus a frappé et notre tendance haussière a tout d'un coup reculé à +3,5 % par an, les 22 et 23 mars. Nous avons ensuite enregistré un très fort rebond sur les rosés. Nous avons vendu l'équivalent de six mois de commercialisation en quatre semaines. Nos clients recherchent plus de vins plaisir, avec des caisses où l'on va par exemple retrouver deux rosés, un champagne, un grand bourgogne blanc, un grand bordeaux rouge, avec aussi des demandes solidaires par exemple sur les vins italiens", illustre Fabrice Bernard, directeur général de Millésima.

Ce dernier remarque tout de même un tassement sur le prix moyen de vente. Celui de la bouteille de rosé est ainsi passé de 44 à 32 euros... Comme on peut le constater Millésima ne fait pas dans le tout-venant. Fait remarquable, relève le directeur général, début avril l'activité à littéralement explosé avec une hausse de +40 % par rapport à la même période en 2019 !

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La cave qui vend un million de bouteilles par an

Pour rester dans le coup, Frédéric Bernard précise que Millésima innove toutes les semaines, par exemple en proposant à ses clients de composer leurs caisses de six bouteilles, parmi les 3.000 références de la cave.

"Les clients nous commandent leurs achats mais certains viennent aussi à Millésima et à la troisième semaine de confinement nous avons créé un drive sur place. Le client commande et paie sur Internet, vient au drive, présente sa carte d'identité et nous lui remplissons le coffre", décrit Fabrice Bernard.

Il souligne que Millésima, qui vend chaque année un million de bouteilles, réalise 40 % de son activité en France, et notamment 12 % aux Etats-Unis, où la société est implantée. Sans compter d'importants marchés en Suisse et en Allemagne.

"Jusqu'ici nous avons vu aux Etats-Unis que cette crise de 2020 est différente de celle de 2007. Car en 2007 les gens avaient peur de l'avenir, ce qui n'est pas le cas cette année. Ils ont envie de se faire plaisir, ce qui nous oblige à nous réadapter", éclaire le directeur général. Millésima, qui emploie 62 personnes pour un chiffre d'affaires de 45 M€, a mis 71 % de ses salariés en télétravail.

Cet exemple de Millésima montre que, malgré les difficultés, l'horizon commercial des grands crus n'est pas complètement bouché. Au contraire, puisque la société enregistre une forte hausse de son activité. A l'inverse du commun des mortels viticulteurs, qui vont devoir rivaliser d'imagination pour reprendre pieds sur leurs marchés.

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