"L'impact de la communication négative en politique est réel sur l'opinion"

Frédéric Dosquet est professeur à l’ESC Pau. Il est docteur en sciences de gestion, auteur d'une thèse en marketing politique et diplômé de l’ESCP Europe ainsi qu’auditeur de l’IHEDN. Il a publié une quinzaine d'ouvrages, dont "Marketing et communication politique" et livre à La Tribune son regard sur "la communication négative en politique".
Frédéric Dosquet

Du "Watergate" au "Penelopegate", les campagnes de communication politique basées sur l'attaque de l'adversaire sont monnaie courante. Elles font même partie du paysage. La course à la première fonction de l'Etat n'est pas un jeu d'enfant. Les prétendant(e)s sont nombreux/ses, et forcément seul(e) un ou une sera élu(e). Cette pratique, quasi-institutionnalisée outre-Atlantique, l'est peu en comparaison en Europe et notamment en France. La raison essentielle tient dans la culture des marketers qui ont reçu une formation plus tournée vers la séduction de la cible que vers la destruction de la concurrence. Or rappelons, ici, que cette discipline est bien basée sur ces deux piliers susnommés.

La conquête de l'électorat peut être assimilée à une conquête de territoires, au sens militaire, d'où, dans ce sens, l'usage justifié du combat. Historiquement, l'ouvrage de Machiavel, "Le Prince", donne déjà, au XIVe siècle, quelques recettes en la matière au service des "spin doctors" (consultants auprès des acteurs politiques). D'une manière plus contemporaine, dans un célèbre ouvrage, "Warfare Marketing", écrit en 1987, les deux consultants A. Ries et J. Trout ont, parmi les premiers, fait le lien entre le marketing et la sphère militaire. En cela, les plus grands stratèges dont Chaliand (2009) et Liddell Hart (2007) ont synthétisé les travaux sont en quelque sorte des marketers. Sun Tsu (VIe siècle avant Jésus-Christ), César (44 avant Jésus-Christ), Napoléon (XIXe siècle), Clausewitz (XIXe siècle) sont à eux seuls des stratèges militaires certes mais aussi  à leur manière, des théoriciens et des praticiens du marketing.

Ces attaques ("attack ads") peuvent prendre plusieurs formes. Premièrement, il peut s'agir d'une attaque directe envers un adversaire politique (Surlin et Gordon, 1977 ; Merritt, 1984). L'affaire "Penelope  Fillon" est en cela un excellent exemple. Deuxièmement, une attaque portée contre uniquement les positions avancées par cet adversaire (Kem, 1989). Le discrédit porté à l'encontre de certains points du programme de Benoît Hamon illustre cet angle d'attaque. Enfin, la cible peut être indirectement atteinte en visant son adversaire au travers de son organisation partisane (Surlin et Gordon, 1977). Les enquêtes sur les indemnités parlementaires européennes de certains collaborateurs du Front national en sont un exemple.

"En dessous de la ceinture"

Toutes les attaques ne sont pas forcément dignes. Dans le langage courant, les expressions comme "campagnes de caniveaux", "boules puantes" sont fréquemment utilisées par les candidat(e)s qui se disent victimes de cette pratique. Dans la littérature du marketing politique, les attaques de ce type, sont nommées : "low ball". Cette expression signifie littéralement "en dessous de la ceinture". Ce genre d'agression est sournois. Généralement, il s'agit de calomnies sur les mœurs. Les travaux sur la portée des rumeurs sont nombreux et montrent qu'il y a toujours des traces dans l'opinion même concernant des informations des plus saugrenues (Rouquette, 1975 ; Brodin, 1995 ; Kapferer, 1998 ; Campion-Vincent et Renard, 2002 ;  Morin, 2002).

D'une manière plus générale, l'impact de la "negative communication" est réel sur l'opinion. La grande majorité des études (Kaid et Boydston, 1987, et Tinkham et Weaver-Lariscy, 1993) tendent à montrer qu'elle s'avère électoralement rentable. Elle permettrait par exemple de détourner l'attention et de mettre l'adversaire sur la défensive et faciliterait la création d'un mouvement de vote "contre" le candidat qui est visé par ce type de campagne. Néanmoins, certaines études ont montré que dans certains cas, cette pratique peut se retourner contre son auteur (Hill, 1989 ; Merritt, 1984).

C'est donc tout un art que de maîtriser à bonne dose cet angle d'attaque, qui peut se révéler productif comme contre-productif.

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Sources : Gauthier G. (1996), "L'éthique de la communication politique, un bilan de la recherche", Les études de communication publique, cahier n°10, Université de Laval, Québec, p.1-29.
Lau R.R., Sigelman L. et Brown Rovner I. (2007), "The Effects of Negative Political Campaigns : a Meta-Analytic Reassessment", The Journal of politics, Vol. 69, n°4, November, p.1176-1209.
Roger P. (2011), "En attendant le candidat Sarkozy, l'UMP s'organise", Le Monde, 4 novembre.
Bibliographie :
Garramone G.M. et al. (1990), "Effects of Negative Political Advertising on the Political Process", Journal of Broadcasting and Electronic Media, 34, Summer, p.299-311.
Hill R. (1989), "An  Exploration of Voter  responses to     Political Advertisements",
Journal of Advertising, 18, Winter, P. 14-22.
Kaid K.L. and Boydston J. (1987), "An experimental Study of the Effectiveness of Negative Political Advertisements", Communicationn Quaterly.
Kern M. (1989), 30-$econdPolitics, New York: Praeger.
Merritt  S.  (1984),  "Negative  Political  Advertising  :  Some  Empirical Findings",
Journal of Advertising, 13 (Fall), p.27-38.
Surlin S.H., Gordon T.F. (1977), "How Values Affect Attitudes Toward Direct Reference Political Advertising", Journalism Quarterly, 54, p.89-98.
Tinkham S.F. and Weaver-Lariscy R.U. (1993), "A Diagnostic Approach to Assessing the Impact of Negative Political Television Commercials", Journal of Broadcasting and Electronic media, 13 (spring, summer), p.207-226.

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