Coopérer malgré la concurrence, le défi des territoires

Engagés dans une compétition féroce qui dépasse aujourd'hui le cadre de l'Hexagone, les territoires n'en doivent pas moins trouver des pistes pour collaborer. Le message, illustré de nombreux exemples, a été martelé lors de la Conférence économique des métropoles le 3 juin à Bordeaux.
La 2e table ronde de la Conférence économique des métropoles s'intitulait "Jouer collectif à toutes les échelles".

Ancienne ministre, vice-présidente de l'Eurométropole de Strasbourg, Catherine Trautman aime jouer collectif. Par goût, et aussi parce que la géographie ne lui laisse de toute façon pas trop le choix : "J'œuvre au sein d'une région trinationale qui compte 43 % de ses échanges avec d'autres pays européens", a-t-elle témoigné lors de le 2e table ronde de la Conférence économique des métropoles, vendredi 3 juin à Bordeaux, organisée par l'Association des CCI métropolitaines et France Urbaine en partenariat avec La Tribune.

"La France n'est pas le pays qui a le mieux compris la puissance de l'importance des connexions", regrette-t-elle. Pourtant, "à Strasbourg, nous sommes une métropole moyenne confrontée à la compétition avec Stuttgart par exemple et d'autres métropoles, et nous collaborons avec elles. Nous avons un Eurodistrict, plusieurs instances de coopération... Nous déterminons notre stratégie en commun. Dans ce partenariat il y a un échange sur l'innovation et une coopération porteuse de développement. Naissent ainsi de nouvelles filières sur le port, les industriels y restent."

Président de la CCI Strasbourg et Bas-Rhin, Jean-Luc Heimburger lui emboîte le pas et rappelle "qu'il est impératif de pratiquer la langue du voisin pour construire ensemble". Pratiquer une langue étrangère, c'est aussi mieux connaître son voisin, partager.

Dans ce cadre, "la CCI a un rôle de booster. Quand on met en place une stratégie, il faut la partager le plus largement possible. C'est pour cela que nous organisons par exemple des rencontres économiques en janvier, avec près de 900 personnes lors de la dernière édition. Il est important de se montrer dans les salons et de démontrer ainsi que l'on travaille ensemble."

Faire différemment grâce aux métropoles

Lors de cette table ronde destinée à promouvoir le jeu collectif à toutes les échelles, chacun a poussé ses exemples locaux. Catherine Trautman à nouveau :

"Par la concertation, nous tentons d'améliorer la question administrative. Les industriels nous disent : c'est formidable mais compliqué d'entreprendre dans ce pays. Deux points sont problématiques : la manière dont on a surchargé les textes européens dans la transcription de la législation française et la disparité sur les charges, les travailleurs détachés, la fiscalité... entre les territoires. Tout ceci rend la tâche des PME très difficile. Nous avons donc passé des conventions entre les entreprises du BTP, qui permettent aussi de travailler de manière plus efficace."

"Nous avons mise en place un schéma de développement économique, un travail accompli avec nombreux acteurs économiques sur le point d'être voté et qui va aboutir à quelque chose de nouveau", témoigne Franck Bellion, président de la CI métropolitaine de Brest. Ce dernier suggère de "saisir l'émergence des métropoles et en profiter pour faire les choses différemment". Suggestion toujours :

"Les CCI doivent jouer un rôle sur le plan économique en partenariat étroit avec les agences de développement ou en les intégrant pour que les collectivités n'aient qu'un seul interlocuteur dont la stratégie est décidée par les chefs d'entreprises du terrain."

Territoires d'intervention et réciprocité

Autre Brestois président à la table, François Cuillandre, président de Brest Métropole, souligne l'importante d'une fine gestion du territoire d'intervention :

"La Communauté urbaine de Brest a été créée en 1974. Ses élus ont eu raison mais trop tôt. Dès la loi de 92, tout le territoire breton s'est couvert de communautés de communes, il est alors devenu difficile de les absorber dans la CUB. Nous avons poussé les portes pour dire au législateur que pour nous une métropole ce n'était pas un seuil de population mais des missions et des fonctions métropolitaines, raison pour laquelle avons eu accès à ce statut de métropole. Nous pouvons témoigner de la façon dont on coopère avec un territoire plus large. Cela peut apparaître comme une usine à gaz mais nous l'avons fait avec un pôle métropolitain, un schéma de coopération territoriale. Une métropole et 6 communautés de communes forment ce pôle métropolitain.
Nous avons aussi un pôle métropolitain avec Rennes et Angers, permettant des actions communes et du lobby face à l'Etat pour les questions de transport, universitaires... Nous comptons aussi des ententes, structures plus souples, avec la préfecture de Quimper, Morlaix et Lannion. Cette alliance avec Morlaix, Lannion et Quimper a permis à notre territoire d'être labellisé French tech après que notre candidature seule ait été retoquée. Nous travaillons également sur un contrat de réciprocité entre la métropole et le pays à cheval autour de Carhaix, afin de définir comment la métropole peut aider à ce territoire à se développer et ce qu'il peut nous apporter. C'est peut-être une usine à gaz, mais elle produit du gaz..."

Frédéric Sanchez, président de la Métropole Rouen Normandie, jette un regard lucide, soulignant que le contexte ne pousse pas au partage et à la coopération :

"Il faut prendre acte que nous sommes dans une concurrence des territoires mais être malgré tout dans une coopération qui nous permet d'être plus forts ensemble. La concurrence ne débouche pas forcément sur du perdant - perdant. Les tentations de jouer cavalier seul sont très grandes. Des forces favorables au protectionnisme économique, à la préférence nationale... pourraient obtenir de gros scores lors des prochaines élections présidentielles. Si c'était la direction prise par la France, ce serait l'appauvrissement durable de nos populations et de ce que nous portons ensemble. J'ai donc un sentiment d'urgence : on est tous à un moment charnière dans la construction de nos récits. Il faut travailler ensemble, œuvrer ensemble, et réussir la mise en mouvement de l'investissement privé, un aspect qui me semble majeur dans les deux ou trois ans qui viennent. Nous avons une obligation de résultat."

Booster le business international

Vice-président de Montpellier Méditerranée Métropole, Max Levita est bien placé pour parler de concurrence entre métropoles au moment où la fusion des régions met Toulouse et Montpellier en compétition sur certains sujets :

"Nous avons perdu le statut de métropole régionale, ce qui crée de l'inquiétude. Mais nous avons un avantage, c'est la mer. Nous cherchons des thèmes communs de développement, avec Toulouse et Barcelone."

Président national de CCI International et de la CCI de Nantes Saint-Nazaire, Jean-François Gendron était attendu sur la question de l'international où là aussi, le fait de chasser en meute, selon la formule si prisée, donne des résultats :

"Nous utilisons la coopération pour booster le business à l'international et renforcer notre attractivité aux yeux des entreprises étrangères, explique-t-il. La diplomatie économique fonctionne plutôt bien en associant les entreprises. Maires et présidents de de CCI ont le devoir d'aller à l'international et d'embarquer des PME-PMI préparées par nos chambres. Je crois à ce travail croisé entre les CCI et les collectivités. Nous avons ensemble la capacité à emmener nos jeunes pépites à l'international, en bonne intelligence avec les conseils régionaux qui ont la compétence économique. Nous avons la capacité à accueillir des délégations de collectivités territoriales sans que ça leur coûte dans nos antennes, les métropoles ont ainsi la possibilité de s'implanter dans de grandes zones pour faciliter l'accès aux marchés et avoir une lisibilité là-bas. Nous sommes à la disposition des métropoles pour développer cela."

Cesser le saupoudrage

Jean-François Gendron a également soulevé un point important, souligné également en conclusion :

"N'importe quelle ville de France va être french tech. Nous devons arrêter le saupoudrage et savoir s'arrêter. J'espère qu'on aura le courage de dire : reconnaissons l'excellence et ne pas la banaliser."

En conclusion, Alain Juppé a tout de suite embrayé : "Cette notion d'excellence me rappelle ce que nous avons vécu, avec Michel Rocard, au moment des Investissements d'avenir. A la demande des métropoles, les labels annexes se sont multipliés, comme les Labex." Si la coopération est un but, la compétition continue donc de faire rage... Jean-Luc Moudenc veut positiver :

"Il y a un an avait lieu la signature d'une convention entre l'association des CCI et France urbaine, rappelle le maire de Toulouse et président de France urbaine. Aujourd'hui la coopération est en marche et des projets en commun avancent. Les métropoles ont tout à gagner en partageant avec les CCI, notre action économique sera plus pertinente et en ligne avec les attentes des entreprises."

Avis partagé par Pierre Goguet, président de l'Association des CCI métropolitaines et hôte du jour, appelant lui aussi "à mettre en commun et à partager. J'ai un sentiment d'urgence de tout ça. Il est nécessaire d'imposer un rythme et suivre les résultats de chacun des projets, relayer auprès de nos équipes et services cette volonté, diffuser par capillarité."

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