CRC : à Bordeaux, la réforme territoriale remise en question

La réforme territoriale ne simplifie pas le millefeuille administratif et maintient un empilement de donneurs d’ordre administratifs par domaine d’intervention qui pose question en terme de soutenabilité budgétaire a avertit ce matin Jean-François Monteils, président de la Chambre régionale des comptes Aquitaine Limousin Poitou-Charentes.
Le vice-président Jean-Noël Gout et le président Jean-François Monteils

L'audience solennelle de la nouvelle Chambre régionale des comptes Aquitaine Limousin Poitou-Charentes (CRCALPC), s'est tenue ce vendredi en fin de matinée à Bordeaux, en présence de Benoit Boutin, procureur financier dirigeant le ministère public près la Chambre régionale, Jean-Noël Gout, vice-président de la CRC et Jean-François Monteils, son président, qui a succédé en 2015 à Franc-Gilbert Banquey.

La création de grandes régions entraine mécaniquement l'éclosion de nouvelles chambres régionales des comptes. En plus de la fusion avec le Limousin, effective depuis le 1er janvier 2016, qui va amener à Bordeaux un certain nombre de magistrats de l'ex-CRC du Limousin, la Chambre régionale des comptes Aquitaine Poitou-Charentes accueille également de nouveaux membres venus d'ailleurs. La fusion des régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon entraine par exemple la création d'une nouvelle CRC dont le siège est à Montpellier, ce qui va conduire plusieurs magistrats, qui ont fait ce choix, à rejoindre la CRC Aquitaine Limousin Poitou-Charentes, à Bordeaux. D'où une nouvelle année perturbée dans le domaine des ressources humaines, sujet abordé par le procureur financier.

L'arrivée de Toulousains à Bordeaux

"2016 sera également placée sous le même signe du changement puisque notre ressort s'agrandit et intègre le Limousin. D'ailleurs, nous avons installé trois nouveaux collègues le 6 janvier dernier et nous installerons au cours de l'année trois autres magistrats venant de la CRC de Midi-Pyrénées. Trois autres personnes (deux vérificateurs et un personnel administratif) rejoindront aussi l'effectif de la chambre" a précisé le procureur financier.

La CRC Aquitaine Limousin, qui comptait au total 83 membres (27 magistrats, 35 assistants de vérification, 21 agents administratifs), devrait encore s'étoffer cette année sans pour autant franchir la barre des 100 personnes.

Le procureur financier est ensuite revenu sur le bilan de la CRC, précisant qu'en matière d'activité "le nombre de rapports d'observations délibérés et notifiés est en progression (62), le nombre de jugements rendus aussi(27)", tandis que le nombre de réquisitoires de charge (34) de même que le nombre d'avis budgétaires (une trentaine) "sont stables".

Trop de liasses qui s'empilent

Le contrôle des comptables publics, qui sont pécuniairement responsables de leur gestion, est une des prérogatives des CRC. Concernant le contrôle juridictionnel le procureur financier a rappelé que la CRC avait jugé "en audiences publiques, 55 charges. Dans 9 cas, elles ont été abandonnées au vu des justifications apportées en réponse. Dans 46 cas elles ont entrainé la mise en jeu de la responsabilité des comptables".

Le procureur financier n'a pas caché que la dématérialisation des documents était loin d'être une question réglée. Sur 7.962 comptabilités de personnes morales il a précisé que, au 30 juin 2015, plus de 2.200 avaient été dématérialisées, tandis que 4.500 faisaient l'état d'une dématérialisation partielle et 1.260 d'aucune dématérialisation.

"En ce qui concerne la production, l'année 2015 a été une année compliquée. En effet, la chambre dispose d'un site de stockage saturé dans l'agglomération bordelaise, d'un autre en fin de vie à Poitiers. Or, malgré les progrès de la dématérialisation (...) la réception des liasses est toujours supérieure à la destruction opérée après jugement, entrainant un engorgement inévitable" a détaillé le procureur financier.

CRC ALPC2

L'audience solennelle a fait le plein (Agence Appa)

8.807 comptas à surveiller

Il s'est ensuite notamment félicité de l'intensification, en 2014 et 2015, de la coopération des parquets des chambres régionales des comptes avec les parquets judiciaires. Le vice-président de la CRC, Jean-Noël Gout a ensuite eu recours à un diaporama pour appuyer sa démonstration. Depuis le 1er janvier, avec l'arrivée du Limousin, le nombre de collectivités et d'établissements publics locaux, "soumis aux règles de la comptabilité publique et dotée d'un comptable public" est passé 8.807, contre 7.407 avant cette fusion. Et il est facile de comprendre que les magistrats de la CRC ne puissent pas se livrer à un contrôle exhaustif de toutes ces comptabilités. La CRC procède ainsi par sondage dans la masse et, en 2015, 13 % des 7.407 organismes d'Aquitaine Poitou-Charentes ont fait l'objet d'une intervention (jugement des comptes, examen de gestion ou contrôle budgétaire).

L'œil sur les petites communes

 Le vice-président de la CRC est ensuite revenu à 2016 et à la grande région pour souligner que sur les 8.807 collectivités et établissements publics concernés, 1.665 d'entre eux sont les plus significatifs. "Si l'on s'en tient aux seuls 1.665 comptes significatifs, l'intégration du Limousin porte les masses financières contrôlées par la chambre régionale des comptes à hauteur de 27,5 Md€, dont 24 Md€ au titre des budgets principaux et 3,5 Md€ au titre des budgets annexes. Le rattachement du Limousin abonde globalement les masses financières antérieures de l'ordre de 3,5 Md€" a indiqué le vice-président. Malgré le poids des 1.665 comptes "significatifs", le vice-président a expliqué que la CRC se penchait beaucoup sur les petites communes qui  "constituent également une part très importante des situations financières dégradées qui alimentent les différents réseaux d'alerte et qui justifient régulièrement une intervention de la chambre au titre de l'examen de gestion".

Bordeaux, capitale d'une région riche en intervenants publics (DR)

Les dotations ne font pas tout

La baisse des dotations d'Etat a des effets certains sur le fonctionnement des collectivités et Jean-Noël Gout a finement éclairé les mécanismes à l'œuvre.

"Si la baisse de la dotation globale de fonctionnement versée aux collectivités territoriales, intervenue pour la première fois en 2014 à hauteur de 1,5 Md€ au niveau national, pourrait, après une analyse un peu rapide, expliquer la dégradation de l'autofinancement, d'autre raisons ne peuvent pour autant être écartées et notamment l'effet de ciseaux constaté depuis plusieurs années entre la progression des charges de gestion parfois nettement supérieure à celle des produits de même nature" expose le magistrat.

Ainsi les produits des communes de la grande région ALPC ont augmenté en moyenne de + 3,6 % entre 2011 et 2014 alors que les charges de gestion grimpaient de + 7,3 %. Des charges principalement dopées par la hausse de la masse salariale. La création du nouveau Conseil régional Aquitaine Limousin Poitou-Charentes est un cas un peu particulier.

Le bond de l'endettement

 La CRC a consolidé les comptes en remontant dans le temps pour pouvoir suivre l'évolution de cette nouvelle collectivité. Fait majeur : son endettement entre 2011 et 2014 a explosé de + 42,9 %, contre + 22,4 % à l'échelle de toutes les régions. La Région ALPC est pourtant faiblement endetté : il lui suffirait ainsi de 2,9 ans pour rembourser ses dettes, contre 4,6 ans à l'échelle des régions françaises. Le président Jean-François Monteils qui, rappelons-le, a notamment assuré de 2010 à 2012 la fonction de secrétaire général du ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement durable et de la Mer, dont Nathalie Kosciusko-Morizet (LR) avait la responsabilité, s'est livré à une analyse sans concession de la réforme territoriale.

"Le rapport sur les finances publiques locales, de la Cour des comptes, paru en octobre 2015, pointe (...) la dégradation de l'équilibre financier de toutes les catégories de collectivités, et indique, à propos des départements que « d'ici 2017, à législation constante, certains d'entre eux pourraient être dans l'incapacité d'équilibrer leur budget" " a-t-il tout d'abord rappelé.

Avec 2,6 Md€ Aquitaine Limousin Poitou-Charentes n'a pas plus de moyens financiers que les anciennes régions qui la composent.

Scepticisme du président

 Le président de la CRC Aquitaine Limousin Poitou-Charentes a ensuite soulevé deux questions selon lui cruciales au sujet de la réforme territoriale : la taille des régions et la répartition des compétences. Concernant la première question Jean-François Monteils a notamment observé, après avoir introduit la notion de juste mesure, que :

"au regard de cette question de la juste mesure, certains des arguments échangés lors du processus législatif laissent songeur : une réforme "qui va dans le sens de l'histoire" ; ou qui doit par ailleurs porter, je cite "12 milliards d'économies par an d'ici cinq ans" et qui, je cite toujours, permet de créer "des régions de taille européenne" ".

Cette question de la taille européenne des régions, qui a tendance à renforcer l'attention portée par les Français sur l'organisation de la République Fédérale d'Allemagne, n'est pas chère qu'au cœur d'Alain Rousset, président de la Région ALPC.

ALPC faible en compétences

"Au bout du compte, les chiffres de notre grand région illustrent ce contraste entre un accroissement brutal de la taille (c'est désormais la deuxième région européenne en superficie) et les autres données (la 16e en PIB, que dire de l'étendue de ses compétences ou du budget ? J'évoquais l'Allemagne ; rappelons simplement que le budget du Land de Bavière, nettement plus petit en superficie que notre région, atteindra, en 2015, 52 Md€ ; celui de la grande région Aquitaine Limousin Poitou-Charentes (évalué à 2,6 Md€ -Ndlr) représentera exactement 5 % de ce montant", a éclairé Jean-François Monteils, avant de faire une petite référence "à l'ex-président de l'association des régions de France".

Ceci avant de porter un coup non pas fatal mais en tout cas brutal à la volonté exprimée par le gouvernement de simplifier la complexité des rouages administratifs.

Seuls les opérations funèbres et les transports scolaires échappent au millefeuilles administratif (DR).

Le tableau qui dit tout

Evoquant le tableau à 92 intersections qui synthétise la répartition des compétences, et qui croise 23 lignes de domaines d'intervention (des transports à la culture) et 4 lignes de collectivités (communes ou EPCI, départements, régions, Etat), Jean-François Monteils a fait une analyse visuelle de la réforme.

"Le moins que l'on puisse dire à la lecture de ce tableau est que la clarification des compétences strates par strates n'est pas encore visible. Seulement deux lignes ou deux compétences sont exercées par seulement deux acteurs : les transports scolaires, les opérations funéraires. Seulement trois lignes ou compétences se limitent à trois acteurs sur les quatre : enfance, formation professionnelle, gestion des déchets. En d'autres termes, sur 18 champs de compétences sur les 23 recensés (...), les quatre niveaux d'administration peuvent simultanément intervenir" a détaillé le président.

Avant de poser la question de la "soutenabilité" budgétaire d'un tel édifice.

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Commentaires 5
à écrit le 31/01/2016 à 1:26
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On a redécoupé les régions ; on veut redécouper les arrondissements à Paris ; on charcute, on charcute, discrétionnairement ! Qu'on se le dise, en France la démocratie c'est tous les 5 ans ; dans l'entretemps, c'est le despotisme plus ou moins honnê...

à écrit le 30/01/2016 à 19:51
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Il aurait mieux valu ne pas toucher aux régions mais supprimer les départements et réattribuer les dotations et missions aux régions. On aurait alors eu une vraie simplification et une vraie chance de réduire les frais de fonctionnement puisque les...

à écrit le 30/01/2016 à 17:37
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Qu'attendiez vous de plus de ce bricolage socialiste, qui avait surtout, veillé, lors de l'élaboration faite à la hâte, à protéger les siens.

à écrit le 30/01/2016 à 10:21
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C'était pas un peu prévu comme ça. A chaque fois qu'il y a une modification dans le paysage, une strate supplémentaire apparaît. C'est comme ça que nous faisons des économies. En France, rien de nouveau sous le soleil.

à écrit le 29/01/2016 à 20:26
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Depuis 40 ans nos énarques ont fabriqué un monstre digne de l URSS Il faudra une vrai faillite à la grec pour voir des réformes Quelle incroyable suffisance et insulte au peuple de perpétuer ce Bordel

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