Loi Renseignement : non à un projet "liberticide"

Alors que les députés se prononceront demain par scrutin public sur le projet de loi relatif au renseignement, différents représentants de la société civile se sont réunis au Club de la presse de Bordeaux pour afficher leur opposition à une loi jugée "liberticide".
Les députés français se prononceront mardi 5 mai sur le projet de loi relatif au renseignement.

Ce soir, les opposants au projet de loi relatif au renseignement en appellent au rassemblement. Le rendez-vous est donné à Paris à 18 h 30 sur l'esplanade des Invalides. Un peu plus tôt à Bordeaux, le Syndicat des avocats de France, Aquinum (Association des professionnels du numérique en Aquitaine), la Ligue des droits de l'Homme et le Syndicat national des journalistes CFDT se sont rassemblés au Club de la presse pour expliquer les raisons de leur rejet de cette loi Renseignement. Interpellés par le manque de mobilisation de l'opinion publique, ils entendent faire prendre conscience de la portée du projet de loi du gouvernement qui élargit considérablement le champ d'application de techniques de surveillance intrusives.

Une loi "liberticide"

Sous prétexte de la menace terroriste, faut-il se priver de nos libertés individuelles et du respect de notre vie privée ? Pour les associations présentes ce matin à Bordeaux et pour beaucoup d'autres comme Amnesty International France, Reporters sans frontières, la Quadrature du Net..., la réponse est non.

"Pourquoi ne pas avoir fait un débat public ? Oui, il y a aujourd'hui en France la nécessité de stopper la menace terroriste mais il faut aussi respecter les libertés individuelles et la vie privée. Qui contrôlera l'action du gouvernement et du Premier ministre qui aura les pleins pouvoirs ? Le gouvernement nous explique qu'il est nécessaire de surveiller entre 1.500 et 3.000 personnes alors pourquoi appliquer la loi Renseignement à tous ?"

Telles sont les questions posées par Estellia Araez, représentante du Syndicat des avocats de France.

La loi prévoit notamment que si une succession suspecte de connexions, mots clés, recherches... est faite, l'algorithme mis en place le remarquera et la personne sera surveillée. Un système qui laisse imaginer qu'un individu quelconque pourra se retrouver sous surveillance alors qu'il faisait seulement des recherches pour un exposé ou tout autre motif non relatif au terrorisme.

Autres doutes exprimés par l'avocate :

"Qui fera le tri de qui on surveille ? Les députés qui seront dans la Commission nationale de contrôles des techniques de renseignement (dont la loi prévoit la création et devrait être composée de 9 personnes, 4 parlementaires et des juges à la retraite - NDLR) ? Qui ? Les Eric Ciotti, Marion Maréchal-Le Pen ?"

Tous s'accordent à dire qu'il est important de prendre des mesures mais que la loi aurait dû être faite avec plus de discernement et ne pas être justifiée par le critère d'inévitabilité. "Le risque zéro et le besoin de certitude ne doivent pas mettre les consciences en sommeil",  ajoute l'avocate.

Une loi pour aujourd'hui, une menace pour le futur ?

 Aux yeux de Patrick Lecoq, représentant de la Ligue des droits de l'Homme, la procédure aura été accélérée alors que cela aurait mérité une plus longue réflexion. Sentiment partagé par Estellia Araez du Syndicat des avocats de France. Une précipitation apparemment voulue par le gouvernement qui a fait passer le projet de loi en 1re lecture à l'Assemblée nationale le 13 avril avant d'organiser le vote début mai. "Le calendrier joue contre nous. Le vote est fait à la va-vite" argue Estellia Araez.

La Ligue des droits de l'Homme met, elle, en garde quant à la fiabilité dans l'exploitation des données, qui pour elle est quasiment inexistante.

"Cette loi ne fait que légaliser ce qui se faisait illégalement dans les services. Si c'était illégal, pourquoi le légaliser ?", s'interroge Patrick Lecoq de la Ligue des droits de l'Homme.

Autre interrogation : l'avenir de cette loi. Une loi faite en réponse à la situation actuelle mais qui à terme pourrait représenter des risques si elle venait à tomber dans de mauvaises mains.

"Aujourd'hui, c'est Manuel Valls, le Premier ministre, qui va avoir les plein pouvoirs. Mais qui les aura demain ? Et après ? Et si un parti d'extrême droite venait au pouvoir, je vous laisse imaginer..."

Selon Patrick Lecoq, la loi Renseignement devrait donner plus de pouvoir à la Justice et non à l'exécutif.

A peine votée et déjà des détournements

Aquinum, l'association des professionnels du numérique en Aquitaine, est opposée au projet de loi Renseignement. Le fond de la loi n'est pas le problème mais certaines choses dans son contenu font que la pilule ne passe pas. L'association est signataire du mouvement "Ni pigeons, ni espions" comme plus de 800 autres professionnels du numérique dont les hébergeurs OVH, Gandi, des fournisseurs d'accès à Internet, des startups, des médias comme Libération et Mediapart ou des organisations comme le Conseil national du numérique qui dénoncent une loi inefficace et dangereuse pour la croissance. Dans leur ligne de mire : "les boîtes noires" que la loi prévoit d'installer chez les fournisseurs d'accès, les hébergeurs et les grandes plateformes. Les services de renseignement pourraient ainsi avoir accès en temps réel à toutes les données transitant sur les réseaux de ces acteurs du numérique.

Pour François Moraud, co-président d'Aquinum, "perte de confiance et défiance vont accélérer les fractures du numérique." Les grands acteurs comme Google et Facebook ne sont pas montés au créneau car pas concernés pas la loi puisque leurs serveurs sont situés à l'étranger. Les hébergeurs OVH et Gandi menacent de contourner la loi en allant installer leurs serveurs hors de France.

La loi n'est pas encore votée que déjà des offres commerciales voient le jour pour s'affranchir de la réglementation. Par exemple sur le blog Presse-citron.net, était présenté un système de protection pour détourner la surveillance.

"Des moyens techniques sont déjà disponibles pour contourner la surveillance. Et plus il y aura de surveillance, plus les moyens seront développés. De plus, ce sont les personnes qui ont des choses à se reprocher qui seront les moins à même de se faire repérer car elles utilisent des technologies encore plus majeures", explique François Moraud.

Malgré l'opposition de certains représentants de la société civile, le texte devrait passer demain à l'Assemblée nationale. Ces derniers espèrent maintenant que le Conseil constitutionnel invalide la loi cet été et que l'opinion publique prenne conscience des rouages de la loi, elle qui il y a quelques années avait fait échouer la mise en place du fichier de police Edvige.

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