Neurocampus, un mariage réussi entre recherche et économie ? (2/2)

Avec Neurocampus, Bordeaux se place dorénavant comme un fleuron international de la recherche en neurosciences. Cette super-structure regroupe 6 instituts dont le centre Broca Nouvelle-Aquitaine, inauguré hier jeudi. Les chercheurs s'y bousculent pour y percer et les industriels pour nouer des partenariats. Comment Neurocampus est-t-il devenu un centre attractif attirant les neurones comme les portefeuilles ?
Plusieurs startups sont nées à partir des recherches menées au sein du Neurocampus

(Lire le premier volet de notre dossier : Le centre Broca met Bordeaux au centre du cerveau)

Il y a vingt ans, les chercheurs tels que Pier-Vincenzo Piazza sentaient qu'il fallait tout mettre en œuvre pour que Bordeaux devienne un jour LE pôle de référence en neurosciences. Il a réussi à former les meilleurs et à s'entourer des meilleurs pour prouver à tous l'intérêt de développer la discipline en terre girondine. Actuellement directeur du Neurocentre de Magendie Inserm et coordinateur du projet Bordeaux Neurocampus, il n'est pas peu fier de cette réussite qui met son projet au cœur des attentions. Daniel Choquet, le deuxième pilier de Neurocampus, est directeur de l'institut interdisciplinaire de neurosciences et de l'unité mixte de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et de l'Université de Bordeaux. Lui n'y croyait pas vraiment à l'époque :

"Quand je suis arrivé il y a vingt ans, nous étions quatre, et aujourd'hui nous sommes 140. Non, je n'imaginais pas que l'on puisse grandir comme cela. C'est d'ailleurs Pier-Vincenzo qui m'a poussé il y a quelques années à constituer ma propre équipe et à créer mon propre institut, alors que je voulais une équipe dans son institut."

Le troisième homme fort de Neurocampus est Erwan Bézard, directeur de l'Institut des maladies neurodégénératives (IMN) et de l'unité mixte du CNRS et de l'Université de Bordeaux et directeur de recherche à l'Inserm. Il rappelle qu'il a fallu batailler et s'imposer pour devenir une référence : "Ce n'est pas quelque chose d'hyper structuré qui s'est développé depuis vingt ans. Ça s'est vraiment fait au fur et à mesure." C'est notamment la dynamique de ces trois chercheurs, amis par ailleurs, qui a permis d'accélérer les neurosciences à Bordeaux.

Une aide politique de grande ampleur

Il a fallu tout d'abord s'équiper, puis convaincre année après année le monde de la recherche. Ils ont été tout de suite soutenus par les politiques et par Alain Rousset en particulier. Le président de la Région Nouvelle-Aquitaine était déjà très réceptif à l'époque.

"La mission de la Région, c'est le développement économique. L'investissement dans la recherche a toujours été vu comme indispensable comme facteur d'attractivité et d'innovation, souligne Françoise Jeanson, conseillère régionale déléguée à la Santé. C'est pour cela que depuis 1998 le Conseil Régional a investi de manière massive dans la recherche entre 1,2 et 1,4 milliard d'euros."

Autre accélérateur : la loi Allègre de 1999 sur l'innovation et la recherche. Elle a permis aux chercheurs de consacrer une partie de leurs temps à la création d'entreprises valorisant leurs travaux. Mais ce qui a permis à Bordeaux de sortir du lot, c'est aussi et avant tout la renommée de sa recherche neuroscientifique parue dans de nombreuses revues scientifiques internationales, ses découvertes inédites et innovantes mais également les prix reçus par ses chercheurs. Une fois la preuve faite de l'excellence et du potentiel d'évolution, il ne restait plus qu'à poursuivre l'attraction de chercheurs de haute facture. De 3 ou 4 candidatures pour un poste il y quinze ans, aujourd'hui les chercheurs ont l'embarras du choix avec des centaines de candidatures.

En 2007, le projet Neurocampus est en marche. Une fois de plus la Région Nouvelle-Aquitaine soutient le projet. 67 millions d'euros sont investis pour la construction du bâtiment, les équipements et le fonctionnement.

Neurocampus Centre Broca

Le centre Broca Nouvelle-Aquitaine (à droite) héberge 240 chercheurs (photo H. Bretheau)

Des startups pour monter en compétence

Parallèlement à cette montée en puissance, la recherche d'un nouveau modèle économique adapté s'est imposée. Une brèche dans laquelle s'est immédiatement engouffré Erwan Bézard.

'Il fallait transformer cet essai en valeur économique, explique-t-il. C'est une transition progressive qui s'est mise en place pour arriver là où nous en sommes aujourd'hui. Il a fallu d'abord monter une grosse société académique à la pointe de différentes recherches au niveau mondial pour ensuite faire une transition et pouvoir monter des startups."

Ce qui explique pourquoi les créateurs de ces sociétés sont aussi les directeurs de grands centres. "Une tendance qui est en train de se réguler" assure Erwan Bézard. Ces startups sont des spin-off de la recherche des différents instituts. Un modèle d'entreprise plus intéressant et sur mesure.

"C'est là que se fait le transfert complet de la recherche au tissu économique, soutient Pier-Vincenzo Piazza. C'est la recherche qui arrive à produire des startups. Ici, nous avons trois types de spin-off : des sociétés de services, des sociétés d'instrumentation et des sociétés qui développent des médicaments."

Une des premières startups créées a été celle de Pier-Vincenzo Piazza, Aelis Farma, qui développe une nouvelle classe de médicaments pour le système nerveux central, découverte à Magendie. Motac est une startup créée par Erwan Bézard, spécialisée dans les études sur les maladies neurodégénératives au niveau comportemental. Elle a un pied à Bordeaux, un autre en Angleterre et un dernier en Chine ; l'entreprise est le leader mondial des études neurodégénératives chez les primates. D'autres spin-off sont très actives dans le développement des nouvelles technologies d'imagerie de l'infiniment petit. Une autre société d'e-technologie est en train de se créer, cette fois à l'intérieur du CHU de Bordeaux. Ainsi, les chercheurs se sont professionnalisés et aujourd'hui Neurocampus attirent des profils qui ont cette double compétence. Ils permettent de faire un pont entre la recherche et les industriels.

Du pôle universitaire au pôle économique

Cette montée en puissance a aussi été possible grâce à la grande taille du campus Carreire, qui regroupe des expertises de pointes dans différents domaines. Ce qui permet aujourd'hui de travailler sur l'infiniment petit en passant par la recherche fondamentale jusqu'au malade. La proximité du CHU de Bordeaux permet cela. L'université de Bordeaux a d'autres atouts : les organismes de tutelles intégrés sur le site tels que l'Inserm (l'Institut national de la santé et de la recherche médicale), le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) ou encore l'Inra (l'Institut national de la recherche agronomique), qui complètent l'excellence.

"Nous avons appris non seulement à faire de la recherche de base, mais aussi tout le développement pour, par exemple, faire un médicament, précise Pier-Vincenzo Piazza. C'est un savoir-faire autour de la valorisation. Aujourd'hui nous faisons de la recherche de base d'excellente qualité et on commence à savoir faire du transfert de technologies d'excellente facture."

Aujourd'hui Neurocampus dispose d'un budget de fonctionnement annuel de 30 millions d'euros.

Et comme le fleuron attire le fleuron, Neurocampus vient de signer un partenariat avec Leica Microsystems, la plus grande société de microscopie au monde. Daniel Choquet est le premier ravi de telles attentions :

"Autre exemple : nous organisons un colloque Frontières en neurophotonique dans trois semaines, spécialisé autour de l'imagerie et des neurosciences. Et je n'ai jamais vu ça en vingt ans à Bordeaux : on en est à refuser des sponsors ! Je crois que c'est un autre signe de l'attractivité de Bordeaux."

Cette synergie des disciplines, des investissements et l'intégration de l'économie permettent aujourd'hui à Neurocampus de se targuer d'être le seul neurocentre de cette envergure au niveau national.

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