Les robots intelligents nous poussent-ils à penser le monde autrement ?

[#Biznext] Ellie est une psychologue virtuelle capable de réaliser des entretiens diagnostics. Les robots logiciels pèsent à eux seuls 25 % de toutes les contributions de Wikipedia France. Deux exemples qui interrogent. Les progrès peuvent-ils mener à la création de robots capables d'empathie, d'amour, ou modelant notre manière de pensée ? Directeur de recherche à l'INRIA, Frédéric Alexandre livre son point de vue. Il animera la masterclass "Penser autrement" lors de la 1re édition de Biznext, le 17 décembre à Bordeaux.
Frédéric Alexandre, directeur de recherches à l'Inria, est l'expert invité de la masterclass "Penser autrement" lors de Biznext.

Ingénieur en informatique, directeur de recherche à l'INRIA (Institut national de recherche en informatique et en automatique), Frédéric Alexandre est le directeur du projet Mnemosyne à l'Institut des maladies neurodégénératives de Bordeaux. Spécialisé dans les neurosciences computationnelles, il animera la masterclass "Penser autrement" lors de la 1re édition de Biznext, le 17 décembre à Bordeaux. Le progrès technologique nous amène-t-il à penser le monde autrement, à révolutionner nos métiers, à déléguer une part de nous ? Inscrivez-vous et venez lui poser vos questions en direct !

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Les progrès de la technologie fascinent et inquiètent. Rien de très surprenant selon vous ?
"C'est un débat classique. A la différence de beaucoup d'animaux qui sont "spécialisés", ceux qui courent vite par exemple, nous humains, nous ne sommes vraiment bons nulle part. Mais nous possédons une caractéristique essentielle, celle de nous adapter à beaucoup de situations. Pour cela, l'Homme a toujours été capable de fabriquer des extensions pour être plus efficace. Des outils, l'imprimerie, les moteurs... Et à chaque extension imaginée, il y a des gains, des pertes et des débats. Socrate jugeait négativement l'avènement de l'écriture vis-à-vis de la parole. Les métiers à tisser, la machine à vapeur... ont été décriés. Inventer pour être plus efficace et se libérer du temps afin de faire autre chose, c'est un phénomène constitutif de l'humanité. L'informatique, la révolution numérique, sont simplement une nouvelle extension."

Faut-il en avoir peur ?
"On peut en avoir peur, mais on ne doit pas être surpris. Les extensions créées par nos soins ont toujours été plus efficaces que nous. L'ordinateur calcule, manipule plus vite les données qu'un humain. Ce n'est pas nouveau : une simple calculette, c'était déjà la même chose. L'important, ce n'est pas de s'inquiéter du progrès technologique mais plutôt de qui décidera des conditions de son usage et donnera ainsi une sémantique aux machines. On peut prendre l'exemple des robots permettant le trading à haute fréquence. Les vraies questions sont les suivantes : qui leur donnera un but, et quel sera-t-il ? Faire le maximum d'argent ou travailler en préservant l'environnement et l'économie locale ? A la fin, ce sont les humains qui sont responsables."

"Il n'y aura pas de retour en arrière"

Ellie est un psychologue virtuel, un programme informatique sous la forme d'un personnage qui mène un entretien, s'adapte aux réponses et simule l'empathie. Cela veut-il dire que nous pourrions être remplacés, que nos métiers tels qu'on les connaît vont radicalement changer ?
"En partie, mais pas forcément totalement. Prenons un exemple qui vous parle : le journalisme. Des robots, journalistes virtuels, savent agglomérer des données pour donner le résultat d'une rencontre sportive, les caractéristiques d'un séisme. Ils font des phrases, certes, mais peut-on vraiment résumer le métier de journaliste à cela ?"

Un simple exemple : une grande partie des contributeurs de l'encyclopédie Wikipedia sont des robots logiciels. Ces progrès technologiques menacent-ils nos manières actuelles de penser le monde qui nous entoure ? Quid de demain si ce sont des robots qui écrivent aujourd'hui l'histoire que nos enfants apprennent en ligne ?
"Il faut d'abord poser le contexte. Cette "révolution numérique" présente deux aspects : un premier relié à Internet, aux communications, au GPS, aux nouvelles interfaces, aux objets connectés, et un second associé au déluge de données, l'intelligence artificielle, la robotique, etc. Nous aboutissons à une ambivalence. D'un côté, arrive une société de la connaissance avec les moocs, la capacité à consulter un site comme Wikipedia jusque dans des endroits reculés, une société permettant davantage d'échanges, une expression citoyenne. Bernard Stiegler parle ainsi d'une économie de la collaboration. Mais parallèlement, les mêmes outils peuvent aussi favoriser une société de la consommation, de la surveillance..."

Alors quels garde-fous mettre en place ?
"Des choix politiques devront permettre qu'il n'y ait pas d'abus. L'éducation sera aussi importante afin que les jeunes notamment, dont le cerveau se construit actuellement avec ces nouvelles technologies, développent un minimum d'esprit critique pour les utiliser, hiérarchiser, mettre en doute... L'informatique change notre société, comme l'a fait l'imprimerie. Il n'y aura pas de retour en arrière car c'est dans notre nature humaine de construire des outils pour s'adapter. Ça ne veut pas dire pour autant qu'il faut tout accepter. Faut-il interdire certaines fonctions ? Il faudra des comités d'éthique pour se prononcer, mettre en place des débats citoyens, de référendums... Le numérique peut proposer des systèmes participatifs pour cela."

Demain, un robot capable d'émotions

IBM a conçu Watson, une intelligence artificielle, technologie cognitive capable de répondre à des questions formulées en langage naturel, d'apprendre de ses erreurs, de poser un diagnostic médical fiable. Peut-on imaginer, demain, un robot intelligent capable d'émotions ?
"Il faut faire la distinction entre l'intelligence logique, combinatoire, et l'intelligence émotionnelle qui veille à satisfaire les besoins vitaux de notre corps et de relations sociales. Chez les humains, elles sont associées, avec toutefois une hiérarchisation : l'intelligence émotionnelle prime, l'intelligence formelle est un outil pour nous aider à atteindre nos buts.
Comprendre le cerveau, ça ne sert pas qu'à faire des machines intelligentes, mais aussi à mieux appréhender certaines pathologies, la mémoire, les addictions... Pour cela, notre travail à l'Institut des maladies neurodégénératives de Bordeaux doit donc s'intéresser à l'ensemble de ces aspects.
La base de l'intelligence émotionnelle, c'est le corps, les systèmes plaisir / douleur. On ne peut donc pas situer cette expérience dans le virtuel. Pour un robot capable d'émotions, ce n'est pas un cerveau qu'il faut faire, mais c'est un cerveau ET un corps. Ma réponse à votre question est donc : pourquoi pas ? On en est encore loin mais fondamentalement, rien ne s'y oppose."

Quel regard portez-vous sur les apôtres du transhumanisme et sur les géants tels que Google qui travaillent sur l'homme "augmenté" ?
"Toutes les expériences qu'ils mènent actuellement se limitent à des éléments de l'intelligence formelle. Sans parler des aspects éthiques, leur vision me paraît donc assez naïve vis-à-vis du défi que représente la création d'une intelligence artificielle complète, qui se situe à un niveau bien supérieur."

Biznext, 150 minutes pour décoder l'économie 4.0, le 17 décembre à partir de 18 h à la Cité mondiale de Bordeaux. Au programme : une keynote, 5 masterclass durant lesquelles le public pourra directement poser ses questions aux experts, et une remise de prix. Inscription gratuite et obligatoire.

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Commentaire 1
à écrit le 20/11/2015 à 18:37
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Je lis régulièrement des articles sur l'intelligence artificielle, l'économie digitale etc....et je suis surpris, effaré, voir consterné de constater que nous êtres humains capables de penser et réfléchir en sommes réduits à l'état d'individus code b...

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