A Bordeaux le Chapon Fin fait la course aux étoiles

Nicolas Nguyen Van Hai, le chef du Chapon Fin, est en quête de sa première étoile au Guide Michelin. Sa cuisine conjugue des innovations aux tonalités exotiques et des créations aussi dépouillées que puissantes, comme son "Chocolat, noisettes, poivre des cimes" : un dessert en forme de tube à essai avec plusieurs mousses au chocolat.
Nicolas Nguyen Van Hai au Chapon Fin
Nicolas Nguyen Van Hai au Chapon Fin (Crédits : J. Philippe Déjean)

Le restaurant Le Chapon Fin, à Bordeaux, où officie le chef Nicolas Nguyen Van Hai, est un témoin de ce que l'Art Nouveau a réussi d'extrême en ornementation d'intérieur, en portant le style rocaille jusqu'à ébullition. Avec à la clé une étonnante production de rochers factices qui dévorent toute une partie de la salle de restaurant avec le même aplomb que des vrais, comme une tapisserie en trois dimensions où les clients auraient la faculté de dissimuler une fraction de leur corps, dans des niches piquées de petits lampions de lumière jaune.

Les cuisines, où s'affaire une bonne demi-douzaine de cuisiniers, relayés en salle par un personnel aussi nombreux, se trouvent dans les coulisses de ce décor fantastique. Arrivé dans les lieux en 2012, Nicolas Nguyen Van Hai y a succédé en tant que chef à Nicolas Frion (1 étoile) en 2014. Restaurant bordelais emblématique, le Chapon Fin a été construit en 1825 et va s'enrichir en 1901 de son décor Art Nouveau à tendance rocaille grâce à l'architecte bordelais Cyprien Alfred-Duprat, également concepteur de la remarquable Maison Cantonale, à Bordeaux-Bastide.

Trop sage, Nicolas Nguyen Van Hai ?

"Ce décor rocailleux est exceptionnel et un client m'a dit il n'y pas très longtemps que la cuisine du Chapon Fin devait correspondre à l'attente suscitée par le décor...", se remémore d'un air pensif Sylvie Cazes, propriétaire du restaurant. Même si c'était une autre époque, le Chapon Fin a fait partie des 33 premiers restaurants étoilés en France par le Guide Michelin en 1933... avant de décrocher 3 étoiles avec le chef Joseph Sicart qu'il va garder pendant des années... Autrement-dit, pas le moindre maléfice architectural en vue.

A quoi pourrait ressembler l'interprétation culinaire d'un décor Art Nouveau comme celui du Chapon Fin ?, la question pourrait être posée. Nicolas Nguyen Van Hai ne l'aborderait pas de façon aussi simple. Le Guide Michelin ne lui pas accordé le 9 février dernier la première étoile qu'il attendait. Sylvie Cazes se souvient que "tout le monde y croyait, que tout le monde lui en parlait" mais elle est certaine que ce chef qui travaille dur trouvera son étoile "dans la recherche de son idée, dans la recherche de son style". Même sévère, le Guide Michelin a trouvé les mots pour parler du Chapon Fin de Nicolas Nguyen Van Hai : "la finesse de sa cuisine, sagement inventive et joliment acidulée".

Nicolas Nguyen Van Hai et Sylvie Cazes

Sylvie Cazes et Nicolas Nguyen Van Hai (J-Philippe Déjean).

La bonne façon de déguster

Natif de Quimper ce jeune chef de 34 ans est rapidement parti à Paris où il a fait ses classes tout d'abord dans le groupe Accor, sous l'enseigne Sofitel Paris Arc de Triomphe, avec le chef Bruno Turbot, puis Philippe Pentecôte, au Relais de Sèvres, des chefs étoilés qui vont le propulser au bon moment pour qu'il fasse l'ouverture en 2003 de l'hôtel Meurice avec une future star de la cuisine française : Yannick Alléno, 3 étoiles Michelin depuis 2007. Ensuite le jeune chef a travaillé cinq ans au Saint-James, à Bouliac, avec Michel Portos (2 étoiles), puis deux ans au Chapon Fin sous les ordres de Nicolas Frion (1 étoile). Initialement formé en Bretagne, Nicolas Nguyen Van Hai se réjouit de la grande variété des productions locales.

"A Bordeaux et dans la région il y a une grande variété de productions maraichères, qui viennent plus vite qu'en Bretagne. Et puis il y a aussi des produits très spécifiques, comme le canard, l'agneau, le bœuf de Bazas. C'est ce qui m'a poussé à faire un foie gras poêlé citron bergamote confit, à la glace au citron noir d'Iran, et radis noir" illustre le chef cuisinier. "Vous l'avez goûté ?", demande-t-il à Sylvie Cazes qui lui répond que non en souriant, pour dire que cela ne va pas tarder.

C'est que, comme toujours en cuisine, la dégustation tient une place centrale dans la mise au point des nouveautés.

"Quand Nicolas a quelque chose de nouveau il m'en parle et nous dégustons. Parfois la discussion sur les nouveaux plats se fait très en amont. Quand il trouve un très bon produit on en discute. Je ne suis pas la seule à déguster, il y a aussi Brigitte Bugeaud, la directrice du restaurant, qui a des goûts très différents des miens, ce qui est une bonne chose", analyse Sylvie Cazes.

Chapon Fin - Petit salon

Le Petit salon, au sous-sol (J. Philippe Déjean).

Comment parler aux étoiles

Le chef évite de présenter des prototypes qui n'auraient pas eu l'assentiment de l'équipe qui travaille avec lui aux fourneaux.

"Nous goûtons les préparations jusqu'à ce qu'il y ait consensus et pour notre nouveau foie gras bergamote nous avons associé le sommelier, afin de trouver le vin correspondant le mieux. C'est ainsi que nous avons sélectionné un Coteaux du Layon, en vallée de la Loire. C'est un blanc moins liquoreux qu'un Sauternes, ce qui était important pour rééquilibrer les goûts" décortique Nicolas Nguyen Van Hai.

Plusieurs étoiles ont récompensé début 2017 des chefs aquitains. Certains étaient étoilés, d'autres ne l'étaient pas. Le chef du Chapon Fin était dans la course : le Guide Michelin l'a mis en attente. Nicolas Frion avait 1 étoile mais cela ne fait que deux ans qu'il est parti. Sylvie Cazes ne lâche pas l'affaire mais se veut philosophe.

"Les étoiles Michelin ça met la pression mais j'ai déjà passé des concours, il ne faut pas non plus exagérer" tranche-t-elle. De son côté Nicolas Nguyen Van Hai se sert de la pression du concours Michelin comme d'un aiguillon auprès de son équipe.

"C'est un moteur, un objectif, c'est ce qui explique pourquoi nous travaillons comme ça et pas autrement. Pourquoi les nappes et les tables sont disposées comme elles le sont" résume le chef, qui rationalise ainsi une pression stellaire qui a déjà eu l'occasion de démoraliser plus d'un chef émérite.

Un carré VIP tout près de la cave

Copropriétaire du Château Lynch-Bages, à Pauillac (Médoc), propriétaire du Château Chauvin, à Saint-Emilion, fondatrice et dirigeante de l'agence d'oenotourisme Bordeaux Saveurs, présidente de la Fondation pour la culture et les civilisation du vin, qui exploite la Cité du vin, Sylvie Cazes est une femme influente. Et il était difficile d'imaginer qu'elle n'essaie pas d'aménager un jour un lieu taillé sur mesure pour les chefs d'entreprises, malgré le cadre déjà exceptionnel du Chapon Fin, qui réalise un chiffre d'affaires annuel de l'ordre de 1,4 million d'euros.

Pour leurs réunions format VIP les dirigeants d'entreprises peuvent désormais se rendre au Petit salon, aménagé en sous-sol juste à côté de l'impressionnante cave du restaurant aux 1.000 bouteilles, parmi lesquelles un Yquem 1928 ou un Pétrus 1986. Le plafond arrondi en forme de coque, l'omni présence de bois couleur tabac, le confort des sièges et la décoration cosy évoquent un univers à la fois aristocratique, marin et presque secret. Sacha Guitry, Sarah Bernhardt, Toulouse-Lautrec, Clémenceau... comme un des plus illustres théâtres le Chapon Fin a ses fantômes. Et ceux-là, dont les noms s'affichent en toute innocence dans le restaurant, seraient plutôt du genre à pousser Nicolas Nguyen Van Hai hors des sentiers les plus sages.

L'auteur de l'article a été l'invité de ce restaurant.

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