Andrew Echatti, DG de Fermentalg, défend sa stratégie

Andrew Echatti, directeur général de Fermentalg, biotech spécialisée dans la production d'huiles et de protéines à partir de microalgues, créée en 2009 à Libourne, présente ce matin au Palais Brongniart à Paris sa nouvelle stratégie et les perspectives de la société. L’occasion de le rencontrer alors que l'entreprise a annoncé début avril que la mise en service de son Unité de développement industriel était repoussée à 2018.
Andrew Echatti a pris la direction générale de Fermentalg en décembre dernier.

Vous avez pris la direction générale de la société en décembre après avoir été recruté en août par Pierre Calleja. Quelle est votre feuille de route ?

Mon objectif était d'épauler le PDG sur le développement international, la structuration financière de l'entreprise, et la complexité d'une société cotée en Bourse. J'ai travaillé sur le business plan, je suis reparti de zéro pour dresser une situation claire de la recherche, déterminer quels produits peuvent rapporter le plus d'argent, quels partenariats sont en cours, faire le point sur les ressources financières. Ce business plan a été présenté en décembre au conseil d'administration. C'est ce que nous présentons en détail ce matin à Paris à travers la feuille de route des cinq produits retenus (1).

Pourquoi avoir pris la décision de repousser les investissements concernant la nouvelle Unité de développement industriel ?

Lors de l'entrée en Bourse, cette usine devait être finalisée au deuxième trimestre 2015 pour commencer la commercialisation. Mais nous avons décidé d'externaliser la production de DHA car l'usine n'était pas le lieu idéal pour ce produit qui nécessitait plus de place pour un fermenteur de 80 m3. C'était trop cher. Donc sur cette future usine, nous allons faire de la production de petits produits à plus forte valeur ajoutée : les trois autres produits autres que DHA et DHA+, ainsi que d'autres à venir. L'usine contiendra un fermenteur de 12 m3, puis de 20 m3, avant plus tard de 80 m3. Le bâtiment sera fini en juin. L'étude pour la production des autres produits est lancée. Cette UDI est aussi un laboratoire à grande échelle pour nos produits avec nos chercheurs sur place et qui va nous permettre de développer nos produits à forte valeur ajoutée et préserver ainsi nos marges.

Qui va produire le DHA ?

Nous l'annoncerons cette semaine. Le contrat qui porte sur plusieurs années est en cours de finalisation avec un groupe français de Champagne-Ardennes. Le process book (méthodologie industrielle) est en cours. Après une montée en échelle de trois mois, la production démarrera en septembre. Oleon, filiale du groupe Avril (ex-Sofiprotéol), va gérer la commercialisation dès octobre/novembre. Nous attendons les premiers chiffres d'affaires du DHA en fin d'année. Le DHA se vend à 45 €. Nous tablons sur 50 tonnes cette année.
Les négociations sont en cours pour le DHA +, pour l'Europe en tout cas. Sa commercialisation est prévue pour début 2017. Le DHA + est notre produit clé, avec un prix de vente de 90 à 120 € le kilo : c'est là qu'il y a le plus de demandes de clients potentiels. Avec le DHA +, nous allons adresser le marché japonais surtout : ils n'aiment pas les OGM, ils veulent des produits naturels, nous avons là un produit très concentré pour lequel le marché pourrait être énorme. Nous avons déjà reçu des demandes de Japonais pour des partenariats sur le développement mais nous voulons garder la main sur notre technologie.

Vous avez également réorganisé les équipes de recherche, non sans mal...

Lors de sa création, Fermentalg était vraiment positionnée sur la recherche fondamentale. J'ai revu les effectifs notamment avec les gens qui veulent faire de la recherche pure et ne rentrent plus dans le cadre de notre stratégie. Nous retenons des gens qui sont utiles pour la commercialisation. Aujourd'hui il faut se concentrer aussi sur le développement et la préparation pour les applications industrielles. Des recherches sont en cours sur la nutrition animale et la cosmétique.
Aujourd'hui 80 % de nos ressources scientifiques sont dédiées à nos 5 premiers produits. Mais Fermentalg a 10 produits en recherche dans son portefeuille. C'est la difficulté avec les micro-algues : on peut tout produire, chimie, biocarburants, etc. Moi j'ai revu les partenariats et les produits.

Vous avez en fait réorganisé toute la société ?

Nous avons dépassé les 50 salariés depuis janvier. Aujourd'hui Fermentalg emploie 72 salariés dont 40 chercheurs, on essaie d'augmenter leur nombre, notamment sur la partie développement. Nous travaillons aussi beaucoup avec l'Iterg. J'ai par ailleurs recruté une responsable des ressources humaines, un directeur scientifique, Hywel Griffiths, qui est aujourd'hui avec moi à Paris, ainsi qu'un directeur qualité. Nous allons enfin externaliser les fonctions qui ne sont pas des fonctions clé de la société. Le fait que la société se structure professionnellement, ça génère des craintes mais parce qu'il y a beaucoup de gens qui sortent de la fac avec un bac+10 et qui n'ont jamais connu l'entreprise.

Des craintes et des rumeurs de vente, sans parler du retrait de Pierre Calleja de la gestion opérationnelle de l'entreprise...

Pierre est un visionnaire, c'est lui qui a tout mis en place, levé des fonds, pris les contacts internationaux. Mais la gestion quotidienne n'est pas vraiment sa tasse de thé et il n'est pas forcément intéressé par la gestion de projets. Fermentalg est aujourd'hui une société cotée, donc les investisseurs veulent voir des résultats. Avec tous les fonds publics qui ont été investis dans l'entreprise, cela va au-delà des personnes. Pierre fait toujours partie du conseil d'administration, qu'il préside, même s'il n'est plus là opérationnellement. Il a validé le business plan en décembre et adhéré au projet de la société.
Nous avons 24 mois de cash, ça ne veut pas dire que la société est en vente. Nous sommes en train de faire une revue capitalistique de la société. Mais Fermentalg est cotée en Bourse. Et chaque société peut être rachetée si les actionnaires le décident. Moi je n'ai pas signé de contrat pour vendre la société. Le but, c'est de travailler au développement de la société.

Qui sont les actionnaires ?

Bpifrance détient 14 % des parts, suivie par Pierre Calleja (10 %), puis les deux fonds Emertec (10 %) et Demeter Partners (8 %), soit au total 42 %, le reste étant sur le marché. L'action a bien baissé donc ce n'est pas le moment de vendre, mais les fonds restent généralement entre 3 et 5 ans, et ils sont là depuis 6 ans.
Aujourd'hui j'ai besoin d'un partenaire industriel pour développer la société, un segment santé, un segment nutrition humaine au niveau de la recherche. Il faudrait un entrant qui pourrait vendre nos produits sous licence. DSM et Martek, les deux géants du marché, nous attendent de pied ferme. Ils sont en situation de quasi-monopole et c'est pour cela qu'il y a un marché. Signer un partenaire industriel, c'est l'objectif de cette année. Il faut voir comment disposer du capital pour se développer, l'idéal serait d'avoir des fonds pour 2019.

Comment parvenir à rassurer ?

Moi je viens d'un système anglo-saxon où l'on tient ses promesses. Je suis arrivé dans une société qui avait énormément besoin de se structurer. Les administrateurs ont eu le courage de dire en décembre : "Maintenant on passe à l'action pour structurer la société, redonner confiance aux investisseurs, aux actionnaires et faire réussir l'entreprise." Aujourd'hui on présente à Paris notre nouvelle stratégie, chiffrée, avec une vision précise, des détails scientifiques.
On est en bonne marche, les équipes scientifiques ont compris que les premiers succès de DHA et DHA + sont essentiels pour la pérennité de Fermentalg, et il n'est pas question de déplacer ni le centre de recherche, ni la future unité de production.

  • (1) Molécules dédiées aux marchés de la nutrition humaine et animale, des cosmétiques et de la santé :
    DHA (acide gras essentiel, oméga 3). Commercialisation : fin 2016.
    DHA + (DHA avec concentration plus élevée en acides gras essentiels et concentrations plus faibles d'acides gras saturés). Commercialisation : 2017.
    BM Bastille (haute teneur en protéines, glucides complexes, minéraux, vitamines et antioxydants, alternative à la spiruline). Commercialisation : 2018.
    Phycocyanine (pigment bleu naturel, seule molécule autorisée pour l'utilisation dans l'alimentation, qui présente également des propriétés fluorescentes pour des applications en imagerie médicale, ainsi que des allégations nutritionnelles et de santé pour des débouchés en nutraceutique). Commercialisation : 2019.
    Astaxanthine (pigment antioxydant très actif, utilisé en nutraceutique et compléments alimentaires). Commercialisation : 2020.

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Commentaire 1
à écrit le 26/04/2016 à 13:43
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On ne peut que féliciter une direction qui met l'accent sur les résultats économique, et donc l'avenir à long terme de l'entreprise. Le volet social de cette réorientation stratégique n'est néanmoins pas évoqué de façon très clair... On ressent que l...

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