La dualité civil/militaire de la filière aéronautique et spatial : le défi de l’industrialisation

La dualité civil/militaire de la filière aéronautique et spatial, facteur de compétitivité économique pour le territoire aquitain ? C’est la question qui était posée aux intervenants de la table ronde organisée par La Tribune - Objectif Aquitaine en ouverture de la 1re édition des Talents aquitains de l’aéronautique et de l’espace, co-créés avec BAAS (Bordeaux Aquitaine Aéronautique et spatial).
La table ronde animée par Pascal Rabiller, rédacteur en chef adjoint de La Tribune - Objectif Aquitaine, réunissait Thibaut Richebois (Conseil régional d’Aquitaine), Christian Chabbert (DGA), Alain Charmeau (Airbus Safran Launchers), Benoît Couture (Thales), Pierre Goguet (CCI de Bordeaux), Marie Recalde (députée de la Gironde, membre de la commission de la défense nationale et des forces armées), Philippe Schleicher (Herakles Groupe Safran).

Jean-Marie Pontois, président de BAAS, l'association qui fédère depuis plus de 30 ans la filière aéronautique et espace en Aquitaine, a en préambule spécifié la dualité de ce secteur économique et son caractère multiple : civile et militaire, grands groupes et PME, diversité des produits et des expertises technologiques, allant des batteries haute technologie aux matériaux composites, en passant par les avions d'affaires, turbines d'hélicoptères, avions militaires, la propulsion solide...

Alain Rousset, président du Conseil régional d'Aquitaine, a rappelé en ouverture que la Région accompagne plus de 80 PME duales (du civil vers le militaire et inversement) : "Une entreprise tient bien quand elle est sur ses deux jambes : ici, nous parlons du civil et du militaire. Notre job a été de dualiser l'activité dès que nous avons pu le faire", citant l'exemple du laser CEA à côté du Mégajoules. "L'aventure du laser a permis une dynamique unique entre la région et le CEA pour développer une filière ex-nihilo", a évoqué Thibaut Richebois, directeur général adjoint en charge du développement économique au Conseil régional d'Aquitaine.

"L'industrie de la défense et de l'aéronautique était tournée vers les budgets militaires principalement", a rappelé Marie Récalde, députée de la Gironde et membre de la commission de la Défense nationale et des forces armées. "Les industriels ont amorcé une reconversion et une dualité marquée par exemple par un ratio de 70/30 chez Dassault ou 80/20 chez Airbus. Dans la loi de programmation militaire déjà votée et celle qui va venir, l'accent mis sur la recherche est très important pour garder un temps d'avance. Il existe une vraie collaboration sous forme de plateau avec l'habitude de travailler ensemble, plus des aides de l'Etat sur les questions juridiques pour permettre aux projets d'aller plus vite et pour que le temps de la décision soit aussi celui de l'entreprise."

Du civil au militaire et du militaire au civil

Christian Chabbert, Inspecteur Général des Armées, Ingénieur général de l'Armement à la DGA, a rappelé trois des principes de la guerre, liberté d'action, concentration des efforts, économie de moyens, pour dire que "l'entreprise et l'outil militaire partagent un fonds commun. La préparation de l'avenir, c'est l'innovation, la recherche, la technologie, le tout dans la jonction entre les R&D civiles et militaires."

Rappelant que la Défense finance 450 thèses (3,8 Md€ sont consacrés chaque année à la recherche de défense), il a également évoqué Rapid (Régime d'appui PME pour l'innovation duale), dispositif mis en place par la DGA (Direction générale de l'armement) et la DGE (Direction générale des entreprises). Cette aide subventionne des projets de recherche industrielle ou de développement expérimental intéressant le secteur de la défense.

Si Thibaut Richebois est d'accord pour dire que si "la R&D mutualisée a du sens", il estime qu'il existe "un vrai défi : ce n'est pas simple de traduire cette dualité dans l'industrie". Il a souligné toutefois que l'Aquitaine est présente dans de nombreux domaines en capacités d'irriguer différents marchés : outre le développement du Centre d'expertise aérienne militaire (CEAM) de Mont-de-Marsan, les matériaux performances - "L'Aquitaine, en pointe, continue à investir dans ce domaines" -, l'électronique embarquée, interface homme-machines (école de cognitique), la maintenance, les systèmes embarqués.

"Historiquement, le transfert se faisait du militaire vers le civil, a-t-il expliqué. Aujourd'hui on voit que les flux sont doubles. C'est difficile parfois dans le cadre d'une industrie comme la défense : cela amène à une organisation en termes de prix de sortie qui pose des problèmes de concurrence. L'usine du futur veut aider l'industrie à entrer dans un processus de fabrication plus automatisée."

Quels domaines d'application ?

Philippe Schleicher (PDG d'Herakles, groupe Safran) a donné des exemples d'application puisque Herakles a développé des technologies dans le domaine des matériaux composites thermostructuraux, destinées à l'origine à des applications spatiales, qui trouvent aujourd'hui des usages dans l'aéronautique ou l'industrie.

Philippe Schleicher a ainsi parlé des pistons carbone-carbone, développés parce que les pistons acier qui supportaient bien les températures étaient trop lourds ; aujourd'hui ils sont utilisés pour le freinage des avions. La poudrerie de Saint-Médard-en-Jalles qui s'est spécialisée dans le propergol pour les missiles puis les lanceurs spatiaux trouve aujourd'hui des applications pour la fabrication des airbags (40 millions sont produits aujourd'hui par Herakles) ou les extincteurs.

Pour Benoît Couture, directeur de l'activité avionique militaire de Thales, la problématique est plus large que cette dualité mais concerne plutôt pour l'entreprise l'organisation en termes de domaines d'application :

"En avionique, les besoins civils et militaires ne sont pas les mêmes. Le militaire permet de mettre en œuvre des ruptures technologiques mais le civil permet le volume donc il faut investir sur les coûts de production. Nous nous travaillons sur un tronc commun puis nous déclinons, parfois, c'est le même."

Benoît Couture a cité des exemples précis : même cockpit dans l'A400M et l'A380, le calculateur qui équipe à la fois l'A400M et l'A350, le travail mené sur la taille des écrans équipant les Rafale de Dassault et l'A320, les centrales d'inertie pour permettre le décollage vertical des fusées dont Thales a dérivé une technologie civile pour l'A350, ce qui a permis d'optimiser les coûts industriels : "Les deux doivent se cross-fertiliser", a-t-il conclu.

"Aucun pays au monde n'a fait de lanceurs civils sans faire des missiles balistiques, a renchéri Alain Charmeau (PDG d'Airbus Safran Launchers). Cette joint-venture a été créée pour mettre au point les lanceurs nouvelle génération d'Ariane : "Nous allons appliquer à Ariane 6 ce que nous avons appris avec la Défense : une bonne gestion des budgets."

Le pari de la maintenance

Le président du Conseil régional d'Aquitaine Alain Rousset a rappelé les motifs de satisfaction que sont Dassault (qui a posé récemment la première pierre du futur centre de maintenance des Falcon), Thales qui ouvrira son futur site de Mérignac en 2017 avec 300 ingénieurs supplémentaires, l'installation de la Simmad (structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de la défense) ou encore le succès incontestable de l'Aérocampus installé sur le centre de Latresne racheté par la Région à la DGA (Délégation générale à l'armement). "Le pari de la maintenance que nous avons fait apporte des atouts à l'Aquitaine", a rappelé Alain Rousset.

Marie Récalde, qui doit remettre la semaine prochaine au ministre de la Défense une étude d'impact des opérations extérieures sur le MCO (maintien en conditions opérationnelles) a rappelé que le prix d'un avion, c'est 1/3 d'achat et 2/3 de MCO :

"Il y a quelques années, personne ne s'y intéressait, même les entreprises ont compris l'intérêt d'avoir ce MCO. En opération extérieure, les matériels sont sur-sollicités, ce qui pose des problèmes, chaque acteur de cette chaîne du MCO est conscient qu'il faut être opérationnel à 98, 99, voire 100 %."

Le Service Industriel de l'Aéronautique (SIAé) qui regroupe des personnels civils et militaires, fonctionne bien par exemple, a souligné la députée.

"Mais la dualité ne suffit pas, elle doit s'accompagner d'innovation, de marchés nouveaux. Les sous-traitants qui se sont voués à une production sont extrêmement fragiles, a martelé Pierre Goguet, président de la CCI de Bordeaux. Les grands  groupes font des efforts pour mettre dans leur sillage des PME en terme de technologie, il faut être piloté pour aller dans le bon sens."

Pierre Goguet a remarqué que 60 % des entreprises ont moins de 20 salariés, que l'aéronautique doit préserver son écosystème de sous-traitants en les encourageant à se regrouper et à grossir dans le cadre de transmission d'entreprise par exemple mais tout en préservant dans le même temps la diversité de cet écosystème pour que les grands donneurs d'ordre aient le choix.

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