Lever les freins à l’innovation : le vrai défi de la décarbonisation

"Transition énergétique et environnement, les défis de la décarbonisation" : c’est sur cette question que s’est ouverte la deuxième session du Forum Climat COP21 Bordeaux organisé mardi par La Tribune - Objectif Aquitaine au stade Matmut Atlantique.
La deuxième session, animée par Mikaël Lozano, rédacteur en chef de La Tribune - Objectif Aquitaine, autour de Sébastien Ackermann (Base), Patrick Dufour (Caisse d'épargne Aquitaine Poitou-Charentes), Thierry Grangetas (GRDF), Christian Kokocinski (Caisse des dépôts), Marc Lafosse (Energie de la lune), Sébastien Trouvé (France énergie éolienne)

671 millions de tonnes équivalent CO2 en 2012 : c'est l'empreinte carbone de la France communiqué ce mois-ci par le Commissariat général au développement durable, à la veille de la COP21 qui a lieu à Paris à la fin du mois. Si les émissions des trois principaux gaz à effet de serre (CO2, méthane, protoxyde d'azote) ont baissé de 15 % entre 1990 et 2012, l'empreinte carbone a légèrement augmenté. Les émissions associées aux importations, comptabilisées dans ce chiffre de 671 millions, représentent désormais la moitié de l'empreinte carbone de la consommation en France.

En 2011, l'empreinte carbone mondiale est estimée à 7 tonnes de CO2 par habitant, valeur à rapprocher de l'objectif de 2 tonnes de CO2 par personne et par an à atteindre d'ici à 2050 pour limiter le réchauffement mondial à 2°C à l'horizon 2010. La France s'est fixé l'objectif de réduire par 4 ses émissions de gaz à effets de serre (GES) en 2050 (appelé "facteur 4"). Hier matin, le conseil des ministres a adopté la "Stratégie nationale bas carbone" (SNBC) qui doit permettre de piloter la loi de transition énergétique pour la croissance verte promulguée cet été. Alors que les émissions de GES ont atteint 492 millions de tonnes équivalent CO2 en 2013, le texte prévoit de les ramener à 358 millions de tonnes en moyenne par an pour la période 2024-2028.

Une future grande région riche en ENR

Pour atteindre ces objectifs, la décarbonisation constitue "un vrai défi", rappelait en préambule Christian Kokocinski, en charge du financement des ENR dans le Sud-Ouest pour le groupe Caisse des dépôts, qui intervenait lors de cette deuxième table ronde du Forum Climat COP21 Bordeaux. Thierry Grangetas, directeur clients - territoires de GRDF dans le Sud-Ouest, précisait que l'entreprise "est la seule qui a été capable de monter un scénario avec le fameux facteur 4". GRDF, qui conseille aujourd'hui les collectivités en matière de mobilité et de rénovation (les transports et le logement étant les deux plus gros pourvoyeurs de gaz à effet de serre) ambitionne de développer le gaz vert pour arriver à 10 % en 2030 et 70 % en 2040-2050. "Dans le Sud-Ouest, en 2018, on sera à 2,5 ou 3 % sur notre réseau", affirmait-il, rappelant qu'en matière méthanisation, 120 projets sont en cours dans la région.

Christian Kokocinski précisait d'ailleurs que la future grande région Aquitaine Limousin Poitou-Charentes est riche en ressources renouvelables qu'il s'agisse de vent, biomasse, agriculture et agroalimentaire, hydrolien ou géothermie, citant de récents projets financés en partie par la CDC comme la centrale de cogénération biomasse sur le site de DRT, à Vielle-Saint-Girons dans les Landes, les serres photovoltaïques de Fonroche (Roquefort, Lot-et-Garonne), ou l'usine de méthanisation Méthalandes, à Hagetmau, projet porté par Eneria, qui devrait produire 37 millions de Kwh à partir de la méthanisation d'effluents agricoles récupérés autour de l'usine. A cela s'ajoute le financement de plusieurs projets d'ombrières de parking photovoltaïques, soit l'équivalent de 100 mégawatts mis en service cette année.

Trop de freins à l'innovation

Sébastien Ackermann, gérant de la société Base (Canéjan), est intervenu pour rappeler que les innovations se heurtent aussi à la réalité du marché. Son panneau photovoltaïque hybride (électricité et chaleur) permet d'arriver à un coût du mégawattheure de 50 € soit 2,5 fois moins cher que l'énergie nucléaire. Mais l'entreprise créée en 2009, lauréate du concours My Poisitive Impact de Nicolas Hulot, qui propose des solutions aux agriculteurs, aux industriels et à l'habitat (chauffage, eau chaude sanitaire, électricité), se heurte à d'importantes barrières pour pénétrer le marché de l'habitat :

"Il est très compliqué d'apporter une innovation sur ce secteur : la certification coûte 100.000 euros. Quelle startup peut mettre 100.000 euros pour accéder à un marché ?", s'interrogeait-il.

Exemple typique de ces freins à l'innovation, l'assurance décennale :

"Quel assureur peut dire aujourd'hui : "Je crois à ce produit alors que je ne le connais pas et qu'il n'est pas testé." ? Si l'on ajoute à cela toutes les normes et les principes de précaution, on a du mal à accepter l'innovation. Si on avait fait ça avant avec ce principe de précaution, aujourd'hui l'automobile n'existerait pas. Il faut pousser l'innovation aujourd'hui en France, c'est fondamental pour les startups."

Incertitudes et acceptabilité

Une incertitude dont souffrent toutes les ENR. Comme le rappelait Patrick Dufour, membre du directoire de la Caisse d'épargne Aquitaine Poitou-Charentes (CEAPC), chargé de la banque régionale de développement :

"Toutes les énergies renouvelables vont basculer sur le marché libre. Ça va créer de l'incertitude et un manque de visibilité : c'est compliqué pour investir."

Tout en expliquant que la CEAPC a créé une filière transversale qui couvre tous ses marchés (industriel, économie solidaire, logement...) pour permettre d'identifier les projets et de les accompagner :

"180 M€ de financement ont déjà été engagés dans la région Aquitaine Poitou-Charentes. La question étant : comment développer l'ouverture de l'épargne vers le financement des énergies renouvelables ? On propose des produits d'épargne pour financer les ENR. Dans une logique solidaire et responsable, on s'est aussi inspirés du crowdfunding, on doit se renouveler. Enfin nous avons une logique de mixage entre les startups et les plus gros projets : c'est une logique de gestion du risque et cela nous permet de couvrir l'ensemble de la filière."

Marc Lafosse, président d'Energie de la lune, cabinet d'ingénierie spécialisé dans les énergies marines renouvelables (vents, courants, osmotique, thermique) rappelait que la région compte 250 km de littoral, auquel il faudra bientôt ajouter celui de Poitou-Charentes (450 km), soit un potentiel important dans la perspective des objectifs du Grenelle de la mer, arrêtés à 6.000 mégawattheures en 2020 dont une grande part d'éolien offshore. La future grande région permettra d'exploiter les ressources de l'éolien, des courants du Pertuis charentais, des grandes marées ou même de la Garonne avec un projet en service en 2016 au pied du pont de Pierre à Bordeaux, marqué par de forts courants ou de la houle sur la côte aquitaine.

Reste la question de l'acceptabilité sociale de ces projets par les citoyens dans leur environnement immédiat. Pour la CDC, outre les revirements tarifaires, cette acceptabilité constitue aussi un frein à l'investissement :

"Les recours administratifs sont devenus un sport national pour l'éolien. Actuellement, la CDC travaille avec Valorem sur un projet d'éolien dans le Médoc pour 2017/2018 si tout va bien et qu'il n'y a pas de recours..."

Sébastien Trouvé, représentant Sud-Ouest de France énergie éolienne, rappelait que Bourgogne, Champagne-Ardennes, Picardie et Bretagne ont fait le choix de l'éolien :

"L'acceptabilité est très variable en fonction des régions, mais elle s'est nettement améliorée : ça fait beaucoup de bruit avant, moins après."

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