Michel Combes, Alcatel-Lucent : "Le numérique, la nouvelle grammaire de l’entrepreneur"

Directeur général d’Alcatel-Lucent depuis avril 2013, Michel Combes était de passage à Bordeaux, répondant à l’invitation de la mairie de Bordeaux pour une rencontre économique. A cette occasion, celui qui a trouvé l’équipementier des télécoms au bord du gouffre et s’est employé à le redresser en lui faisant prendre le virage du numérique, réorganisant sa R&D tout en réduisant ses pertes, a accepté de répondre à nos questions.
Michel Combes, directeur général d’Alcatel-Lucent

Alcatel-Lucent aujourd'hui, c'est quoi ?

"C'est toujours un fabricant d'équipements, de réseaux et d'infrastructures de télécommunication. Nous comptons 65.000 collaborateurs dans le monde, un siège social en région parisienne. Nous sommes un groupe français qui réalise 14 Md€ de CA annuel et consacre 2,2 Md€ à la R&D grâce à 20.000 chercheurs et laboratoires du monde entier."

Quand vous êtes arrivé aux commandes, Alcatel-Lucent était moribond ?

"Et ce n'est toujours pas gagné mais c'est vrai, le groupe était au bord de la faillite. Ses problématiques étaient à la fois stratégiques, opérationnelles et financières. Mais bon, je suis un habitué du management de la transformation."

Certes, mais comment avez-vous fait accepter l'immense transformation en cours, programmée sur trois ans avec votre programme "Shift" ?

"Nous nous sommes très vite rendu compte qu'Alcatel-Lucent a de très beaux atouts, un portefeuille de technologies important, des bonnes relations clients, des talents... Nous avons établi un diagnostic que nous avons réussi à faire valider par le plus grand nombre de collaborateurs. Dès lors, j'ai eu le mandat moral pour changer et mettre en place un projet à trois ans qui reste industriel avant tout. Financièrement, le groupe était abîmé, notre projet nous a permis de gagner la confiance des financeurs. Nous avons réussi à refinancer l'entreprise à hauteur de 6 Md€."

Quel est votre "truc" ?

"Neuf mois après mon arrivée, nous qui avions quitté le CAC 40 parce que nous n'en respections plus les critères, sommes revenus dans la course et nous avons réparé une injustice. En matière d'investissements, la présence au CAC 40 a une très grande importance. L'autre truc, c'est que nous avons réussi à concilier la tradition du groupe avec la modernité des marchés. Alcatel-Lucent est profondément ancré en France, c'est son histoire, son atout aussi, un vrai gage de sérieux à l'international. Pour autant, sans renier nos racines, nous sommes aussi très fiers d'être américains sur le marché américain, chinois sur le marché chinois."

Vous pariez beaucoup sur le numérique ?

"Oui, le "new deal" numérique serait une chance pour l'Europe en général et pour la France en particulier. Je plaide pour une Europe du numérique. J'estime que notre continent a raté la première révolution numérique, on doit aujourd'hui s'interroger sur le virage raté de la France. Pourquoi, par exemple, Accor, géant de l'hôtellerie, n'a pas inventé les plateformes de réservation ? Nous, entreprises françaises, devons reprendre la main, investir sur les réseaux. La France compte 80 % d'utilisateurs d'Internet. L'économie numérique représente 5,5 % de notre PIB, 3,3 % de l'emploi en France, soit plus que l'agroalimentaire ! Nous sommes prêts pour la prochaine révolution numérique. La révolution numérique 3.0 peut être une chance pour la France. Au moment où l'Europe cherche la croissance, nous sommes en train de vivre l'embrasement de l'économie numérique, du tout connecté, de l'Internet des objets... Les voilà, nos pistes de croissance. Le numérique doit devenir la priorité du chef d'entreprise, la nouvelle "grammaire" de l'entrepreneur."

Vous dites que nous sommes prêts, mais tout de même en retard, non ?

Il est clair que la France et l'Europe sont en très grand retard en matière d'économie numérique. C'est regrettable mais rattrapable car nos grandes écoles scientifiques et technologiques sont excellentes. 21 % des diplômés français sont issus chaque année de la filière sciences et technologie. En Europe, nous sommes deuxièmes derrière la Finlande sur ce plan. Je dirais même mieux, 1/5 des startups à forte croissance dans le monde sont françaises. Le paradoxe, c'est qu'en France au regard du PIB de l'économie numérique, on ne peut que constater que nous importons le numérique. Il est frappant de constater que 80 % de la capitalisation mondiale dans le numérique profite à des entreprises américaines : Apple, Amazon, Microsoft, Google, Facebook...
Nous n'avons pas la culture du risque en Europe en général et en France en particulier. Nous n'avons pas, non plus, la culture du rebond. Dans les pays anglo-saxons, notamment aux Etats-Unis, le droit à l'échec entrepreneurial est institutionnalisé. En France, hélas, toute faillite est d'abord assimilée à une faillite frauduleuse."

Si vous aviez les commandes de la politique économique française, que feriez-vous ?

"Je pense que le renforcement des filières d'avenir est capital. Pour cela, l'Etat doit continuer à aider les entreprises à innover, le dispositif de crédit impôt recherche doit être prolongé. Il faut renforcer la formation en direction des emplois à forte valeur ajoutée. Les entreprises ont aussi leur rôle à jouer. Elles doivent être citoyennes, assumer leur responsabilité sociale. Chez Alcatel-Lucent, nous nous sommes engagés sur un plan "1.000 jeunes", qui favorise l'accompagnement dans l'entreprise de 1.000 jeunes comme son nom l'indique."

Le ministre Emmanuel Macron souhaite voir, dans les 15, 20 ans qui viennent, un CAC 40 entièrement renouvelé et composé de nouvelles sociétés. Vous dites ne pas partager cet espoir, pourquoi ?

"Parce que je pense que nos grands groupes au rayonnement mondial, qui figurent actuellement dans le CAC 40, sont une chance pour l'économie française et qu'il reste important qu'ils s'adaptent à l'évolution de l'économie et des marchés pour continuer de figurer dans ce CAC. Nous n'avons aucun intérêt, tant sur le plan économique que sur le terrain de l'emploi, à voir ces groupes décliner. En ce qui concerne Alcatel-Lucent en tout cas, je ferai tout pour lui donner tort. J'estime qu'il y aura toujours de la place dans le CAC 40 pour les entreprises qui savent se remettre en question, et
surtout pour les plus anciennes."

Vous évoquiez Emmanuel Macron. Que pensez-vous de son projet de relance de l'économie ?

"Est-ce qu'il va assez loin ? Non sans doute pas, mais il va dans le bon sens et il faut s'appliquer maintenant à mettre en œuvre les mesures de son projet. Le ministre prend des risques, il va se heurter au plus grand conservatisme. Je soutiens toutes les initiatives qui vont dans le bon sens. Les siennes en font partie."

Vous êtes régulièrement à Bordeaux, que pensez-vous de son engagement dans l'économie numérique ? Que pensez-vous du label French Tech que son écosystème numérique a décroché ?

"Le label French Tech est mérité pour les entreprises bordelaises du secteur qui ont su avancer de manière collective. Il y a ici de très belles pépites de l'économie numérique, les ConcoursMania, Asobo, Cdiscount, pour ne citer qu'eux. Je trouve génial qu'une ville comme Bordeaux, classée au patrimoine de l'Unesco et donc très ancrée dans l'histoire soit à la fois un témoignage du XVIIIe siècle par ses façades, bâtiments et monuments et une ville fortement ancrée dans le XXIe siècle, celui de l'économie numérique. Cette ville est exemplaire au moins par cet exploit qui a consisté à être une ville d'avenir sans faire table rase de son passé."

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 23/03/2015 à 23:18
Signaler
Souhaitons bonne chance à ALU, ce grand groupe Mondial dont la capitalisation boursière est d'environ 1 pour cent de celle d'Apple, et en pertes en 2012, 2013, et 2014...il en a bien besoin...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.