Vin : "Bordeaux n'a pas vocation à se vendre à moins de 5 €"

Impact du gel sur la santé de la filière, positionnement commercial, ambitions en Chine et aux Etats-Unis, poids des plateformes e-commerce... Président du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB), Allan Sichel a fait le point ce matin sur les sujets stratégiques pour la filière.
Allan Sichel, président du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux

Allan Sichel était l'invité du Petit Déjeuner de La Tribune à Bordeaux, organisé au Village by CA en partenariat avec le Crédit agricole d'Aquitaine. Interrogé par Jean-Philippe Déjean, le patron du CIVB, également dirigeant du négociant Maison Sichel et producteur avec 350 hectares de vigne et 4 châteaux, a passé en revue les thèmes d'actualité de la filière. Morceaux choisis.

L'épisode dévastateur de gel en avril dernier

"Les répercussions du gel concerneront la filière dans son ensemble. Les estimations montrent que 60 % du vignoble est touché à des degrés divers, de 20 % à 100 %, soit une récolte qui s'annonce en baisse de 30 à 40 %. On voit des situations dramatiques où les grappes ne sont pas sorties, d'autres propriétés sont moins touchées. Si l'on raisonne collectivement, notre chance est qu'aujourd'hui, pour les vignes qui n'ont pas été gelées, il y a le potentiel d'une belle vendange. 40 % des vignerons peuvent produire une très belle récolte. Pour les autres, nous devons trouver des moyens d'accompagner ceux qui seront dans des situations très difficiles en 2018 et 2019. Ce sera un travail au cas par cas.
Ne pas avoir de récolte ne veut pas dire que les coûts d'exploitation disparaissent. Nous sensibilisons les autorités sur ce sujet, même si l'on sait que les fonds sont restreints et qu'on tombe sur une année où la grippe aviaire a semble-t-il épuisé ces fonds. Statutairement, le CIVB a des missions bien calées et ne peut pas s'en écarter, nous ne pouvons intervenir financièrement en direct et nous devons donc nous contenter d'apporter notre accompagnement. Les cotisations volontaires obligatoires (indexées sur les volumes vendus, elles alimentent le budget du CIVB, NDLR) vont baisser avec le gel, donc il nous faudra aussi, au CIVB, réduire toutes nos dépenses et nos actions. Mais nous devons réussir à continuer à approvisionner les marchés parce que si nous les perdons, nos places seront prises et les reconquérir sera un travail de plusieurs décennies."

Le positionnement commercial des vins de Bordeaux

"Ce n'est pas à Bordeaux d'alimenter le segment basique des vins à moins de 3 €. Nous avons beaucoup travaillé ces dernières années pour revaloriser la production, tout en faisant attention car quand on interroge un consommateur qui n'achète pas de Bordeaux sur ses raisons, il répond en premier que le bordeaux est trop cher. Il y a des vins qui effectivement sont très chers, mais c'est une poignée. Le segment des grands crus classés de Bordeaux, c'est 3 % du volume, et beaucoup sont sur des prix abordables, de 30 à 50 €, bien loin de cette image à plusieurs centaines d'euros.
Nous cherchons donc à recaler la perception du consommateur sur la tranche des vins de 5 à 15 €. C'est un segment étroit en valeur absolue mais c'est aussi celui qui progresse le plus. 80 % des vins vendus dans le monde le sont à moins de 5 €, ce qui veut dire que l'on se prive volontairement de 80 % du marché, je préfère dire des « occasions de consommation ». Dire que l'on pourrait prendre 10 % du reste, est-ce aberrant ? Ça me semble cohérent, légitime et réalisable pour un vignoble bordelais qui pèse 2 % de la production mondiale de vin."

Lire aussi : Les vins de Bordeaux préparent un plan de relance de leurs ventes

La Chine

"Historiquement, en Chine nous avions de gros marchés avec les cadeaux qui étaient faits et les banquets au frais de l'Etat. Des mesures anti-corruption ont été prises, certains disaient qu'elles ne dureraient pas mais cinq ans après, elles y sont toujours ! Ces mesures ont fait baisser nos exportations vers la Chine pendant plusieurs années, en 2015 elles sont reparties à la hausse et en 2016 nous avons battu le record de 2012. Le consommateur chinois est très intéressé et curieux, il s'approprie également les codes occidentaux et le vin en fait partie. L'import chinois ne concernait avant que les vins les moins chers possible ou au contraire les très grandes étiquettes. Le consommateur a depuis appris et se focalise sur la gamme intermédiaire.
Nous y sommes concurrencés par les vins chiliens et australiens qui ont passé des accords de libre-échange. Nous demandons également que des accords soient négociés entre l'Europe et la Chine. Phil Hogan, le commissaire européen à l'Agriculture, était à Bordeaux ces jours-ci. Il considère la filière comme étant à part dans l'agriculture, avec une balance commerciale positive autour de 10 milliards d'euros pour l'Europe.
La consommation moyenne en Chine par habitant et par année est de 10 centilitres. En France elle se situe entre 44 et 45 litres, en Italie à 49 litres, en Espagne à 25 litres, qui est la moyenne pour les pays matures. Le potentiel chinois est donc immense ! 60 % des vins qui y sont importés sont français, et parmi ceux-là 50 % sont des bordeaux."

Allan Sichel CIVB lors d'un Petit Déjeuner

Les Etats-Unis et le Royaume-Uni

"Les Etats-Unis sont un marché très difficile, mature, avec notamment des réseaux de distribution complexes. Bordeaux y sous-performe. On est sur une progression de nos ventes de 3 % qu'il faut pérenniser voire accélérer. Les prescripteurs commencent à regarder le bordeaux d'un œil différent, c'est bon signe. Le Royaume-Uni est pour Bordeaux un client historique, qui se situe aujourd'hui juste derrière la Chine. Il est stratégique car les prescripteurs y sont nombreux et importants, les marchands de vin aussi, les revues sont réputées et diffusées dans tout le monde anglo-saxon. Avec le Brexit, la chute de la livre nous impacte. Nous ne craignons pas de quotas, et ce n'est pas l'importation de vins étrangers qui vont porter atteinte à leur propre production. Mais c'est vrai que si le Brexit va au bout, ce sera un pays tiers avec les questions de douanes, de réglementations que cela suppose."

La sortie des pesticides

"La déclaration de Bernard Farges, l'ancien président du CIVB, sur l'hypothèse d'une sortie des pesticides a été perçue comme fracassante mais ça fait 10 ans qu'on travaille sur le sujet. Il est vrai que depuis quelques mois, on a accéléré, on a pris plus la parole pour expliquer qu'on pouvait imaginer une sortie totale. Il y a une prise de conscience profonde et réelle de la filière. Il y a 15 ans, quand on me parlait de biodynamie, je trouvais ça un peu perché. Et puis on apprend, on avance... Il y a 5 ans je disais que pour que la biodynamie marche, cela demande de la sensibilité sur le sujet de la part du vigneron, des moyens, et une localisation des parcelles. Aujourd'hui, je suis convaincu qu'entre de bonnes mains et avec les moyens financiers nécessaires, toutes les parcelles de Bordeaux peuvent être conduites en biodynamie. Ça n'en fait pas pour autant une réponse à tout et pour tous. L'enjeu est de diminuer la dépendance aux produits de synthèse. C'est le sens du Système de management environnemental (SME) que nous avons mis en place et qui va plus loin que la question des pesticides puisqu'il englobe la biodiversité, la consommation d'énergie... Plus de 700 acteurs sont impliqués dans cette démarche SME.
La question des cépages résistants est aussi importante. On ne parle pas ici d'OGM mais de croisements de cépages existants. Les résultats des tests qui sont menés sont spectaculaires avec une baisse de 90 % de l'intensité des traitements nécessaires mais les vins produits ne peuvent pas être vendus comme des vins de Bordeaux tant que ces cépages ne sont pas reconnus dans les cahiers des charges des appellations.
La règle est simple : aujourd'hui si je ne traite pas, je n'ai pas de récolte. Il existe des méthodes naturelles mais il faut aller plus loin dans la recherche. La vigne doit être protégée des maladies, il faut donc travailler sur des produits moins toxiques mais qui restent efficaces."

Lire aussi : Le vin de Bordeaux veut "pulvériser" l'usage des pesticides

Le e-commerce

"7 à 8 % des volumes de bordeaux sont commercialisés par l'intermédiaire de plateformes web. Il n'y a que les sites spécialisés qui marchent et le nombre d'opérateurs a tendance à baisser. Il faut aussi prendre en compte les plateformes internet qui facilitent les prises de commande des réseaux de commercialisation et distribution habituels. Pour l'instant le numérique est loin de bouleverser les circuits traditionnels, c'est un segment utile, qui se développe mais qui s'avère plutôt complémentaire et qui marche pour les étiquettes connues. Pour les autres, je crois encore au contact humain entre le consommateur et le caviste, le restaurateur, le vigneron lui-même."

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La filière bordelaise en chiffres

  • 1er employeur de Gironde avec 55.000 emplois directs et indirects (1 salarié girondin sur 10)
  • 6.600 viticulteurs
  • 65 appellations d'origine controlée (AOC)
  • 36 caves coopératives
  • 30 maisons de négoce
  • 112.200 hectares de vignes

En France et à l'export, 4,73 millions d'hectolitres de vins de Bordeaux ont été commercialisés en 2016 pour une valeur de 3,65 milliards d'euros. En volume comme en valeur, la baisse est de 3 % par rapport à 2015. Les exportations vers la Chine et vers les Etats-Unis ont battu des records l'an passé et la part de l'export (42 % de la commercialisation) est restée stable alors que globalement, les vins français ont reculé (-2 % pour les AOP comme pour l'ensemble des vins tranquilles).
Concernant le millésime 2016, la production atteint 5,8 millions d'hectolitres, en hausse de 9 % par rapport à la récolte 2015.
Le budget annuel du CIVB évolue autour de 36 millions d'euros par an, dont une large part est consacrée aux actions de marketing et de communication.

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La Tribune organisera le lundi 16 octobre 2017, de 18 h à 21 h à la Cité du vin à Bordeaux, la 4e édition de son événement dédié à l'ensemble de la filière vin. Anciennement baptisée Les Talents du vin, cette manifestation élargit son périmètre puisqu'elle s'ouvre à l'ensemble du territoire de la Nouvelle-Aquitaine et qu'elle abordera également les spiritueux. Au programme : une conférence du réputé conseiller et vigneron Stéphane Derenoncourt (Derenoncourt Consultants), deux masterclass autour des thèmes "Quels vins pour satisfaire les nouveaux consommateurs ?" et "La place de Bordeaux doit-elle se lancer dans la commercialisation des vins fins du monde ?", ainsi qu'une remise de prix dans les catégories Talent de l'année, Innovation, Commercialisation, Equipementier et Jeune vigneron. La Tribune Wine's forum est un événement organisé par La Tribune, sous le parrainage de Kedge Business School, en partenariat avec la Banque populaire Aquitaine Centre Atlantique, Bpifrance et la Cité du vin.

>> Je m'inscris pour assister à l'événement

Wine's Forum Nouvelle-Aquitaine 2017

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